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Occident
Singulière aventure. Quelque chose de décisif (pour l'humain
universel) s'est joué en Occident. C'est-à-dire la plus
grande rencontre d'extrême différence. Singulière
aventure que celle de l'homme occidental.
L'aventure de la modernité conquérante.
Une aventure qui s'affirme en même temps paradigmatique de
l'humain plus universel. La modernité, sans doute, ne
signifie rien de plus essentiel que la montée
d'une gigantesque euphorie. Fondée sur
l'homme. Fondée sur le possible de l'homme. Fondée sur
la puissance et la gloire de l'homme. Rien ne semble impossible et
immenses semblent les raisons d'espérer... Extraordinaire
aventure... Mais paradoxale aussi ! En
ses profondeurs ne se joue-t-il pas quelque chose comme une négative
théologie négative ?
Europe, Occident, Modernité.
Les trois se joignent. L'Europe comme espace
géo-historique devenu terre natale et foyer de la culture
occidentale. L'Occident en tant que projet de civilisation et de
culture qui, historiquement, déborde l'Europe. La Modernité
qui traduit la pertinence `occidentale' dans l'actualité
d'aujourd'hui. Le reste du monde, de gré ou de force, pour
son bonheur ou pour son malheur, n'est resté et n'a pu rester
étranger à cette aventure. Qu'on le regrette ou qu'on
s'en réjouisse, c'est un fait de l'Histoire. C'est par la
`force' des choses que l'Occident s'est imposé en `conquérant'
le monde et en imposant son modèle. Par les armes. Par
les techniques. Par les séductions. Pourquoi l'Occident?
Pourquoi les Chinois, inventeurs de la boussole, ne l'ont-ils pas
utilisée pour la découverte du monde? Et pourquoi,
ayant inventé la poudre à canon, ne s'en sont-ils pas
servis pour dominer par la force? Aucune culture humaine n'a
jamais connu quelque chose approchant une telle exaltation explosive
de la liberté humaine. Partout ailleurs, même chez les
Grecs, reste trop absolu le fatum divin ou cosmique. Ici, par contre,
la liberté humaine est ouverte infiniment, à l'image et
à la ressemblance de la liberté de Dieu lui-même.
La
révolution qui commence avec Abraham dit `non'. Elle
provoque ainsi dialectiquement l’essentiel des acquis de la
révolution néolithique. Elle dit non à
l'essentiel de ses acquis. L'homme prend en main son destin ?
Non, il n'y a pas de destin pour
l'homme. La valeur de l'artifice ? Non, l'homme est
toujours plus grand que ce qu'il fabrique. Le culte de l'outil ?
Non à l'outil qui fabrique des idoles à tous les
sens du mot. Mais 'oui' à l'outil au service de la création.
Le travail producteur ? Non, le
travail n'est pas un absolu. Il ne prend valeur que dans le service.
L'esclavage de la productivité ? Non,
l'homme ne doit produire que le nécessaire
et partager le superflu. La Bible ne peut avoir que mépris
pour une `civilisation' comme la grecque qui ne fonctionne que grâce
à l'esclavage de neuf hommes sur dix ! L'accumulation de
l'avoir ? Non, l'avoir est pour
le don et pour le service, non pour l'accumulation. La richesse
durcit le cœur et aliène l'homme à l'homme. Les
grandes constructions ? Non, toute
construction n'est finalement que vanité puisqu'elle ne peut
tendre que vers sa destruction. La tâche essentielle de l'homme
est ailleurs. Boucler la consommation sur la production ? Non,
ce cercle est vicieux puisqu'il enferme l'homme
unidimensionnellement sur lui-même. Le culte de la force ?
Non, c'est quand
je suis faible que je suis fort. Il y a des labilités qui,
paradoxalement, ouvrent à d'autres fécondités.
Réduire et intégrer la différence ? Non,
la différence est grâce. Faire régner
l'ordre à tout prix ? Non, l'ordre n'est pas fin
mais service. Très profondément l'homme n'est pas pour
la mesure mais pour la démesure. Construire des enceintes de
sécurité ? Non, Dieu
seul est ta sécurité. Nouer des totalités ?
Non à tous les totalitarismes. Non à toutes les
idéologies. L'homme en sa béance est infiniment plus
grand que l'homme enfermé dans des `bulles'. Totaliser le
sacré ? Non, l'homme
n'est pas fait pour le sabbat mais le sabbat pour l'homme. Le décisif
n'est pas la `religion' mais l'existence vraie qui s'ouvre dans la
foi. Un seul Dieu tu adoreras ! Il est Tout-Autre. Il est absolu
'Je suis'. Tu ne le trouves qu'en exode. Le temple sera détruit.
Laissez les morts ensevelir les morts. Ultimement le tombeau est
vide...
L'Occident
n'est pas né par parthénogenèse ! L’Occident
est né de père et de mère. De père et de
mère différents ! Notre mère est
païenne. Notre père est judéo-chrétien.
Deux
grandes ruptures... La première a commencé il y
a plus de 10 000 ans. La seconde a fait irruption il y a 4 000 ans.
Très schématiquement on peut dire que l'intention
essentielle de la révolution néolithique
vise à intégrer l'autre
dans le même et à composer
le même avec le même. En sécurité.
En harmonie. En clôture structurale. La visée
essentielle de la révolution judéo-chrétienne,
par contre, est de s'exposer à l'autre et
à l'autre de l'autre.
Courir infiniment l'aventure de l'exode incessant. Risquer la Pâque.
En rupture. Dans l'ouvert infini. D'un côté joue la
pertinence des com-posantes. De l'autre côté
celle des ex-posantes. Les `composantes' garantissent les
cohérences et les harmonies. Les `exposantes' ouvrent la
démesure. La rencontre
providentielle entre notre mère païenne et notre père
judéo-chrétien fait s'étreindre les maternelles
composantes et les paternelles
exposantes.
Deux conceptions
radicalement différentes de la totalité.
Deux visions radicalement différentes de
l'homme. Deux espaces et deux temps différents. Deux
possibilités de penser et d'agir différentes.
Deux
longues séries d'antinomies radicales dont
on n'évoque ici que les axes majeurs. Les premières
garantissent les cohérences et les harmonies. Les secondes
ouvrent la démesure. L'absolu JE
SUIS face à l'absolu IL Y A. La liberté
personnelle face à la nécessité naturelle. Le
dessein face au destin. L'histoire face à l'éternel
retour. La Création face au Cosmos. L'infini face au fini. La
démesure face à la mesure. Les extrêmes face au
milieu. L'aventure et le risque face à l'harmonie et à
la sécurité...
Entre les
deux ruptures, une infinie différence. La rupture
néolithique est thétique
et joue en horizontalité. La rupture
judéo-chrétienne est antithétique
et joue à la verticale. La
révolution néolithique dit profondément oui.
Elle va de soi. Elle a toute la 'raison' pour elle. La révolution
judéo-chrétienne renvoie tout `oui' vers un plus
fondamental `non'. Elle est de trop. Elle est `déraison' pour
la raison. La révolution judéo-chrétienne n'est
pas parallèle. D'une part elle surgit à partir de la
révolution néolithique, au cœur de la révolution
néolithique. D'autre part elle signifie rupture radicale du
mouvement lui-même de la révolution néolithique.
Elle est révolution dans la révolution. Bien plus, elle
est révolution permanente au cœur même de sa
propre révolution.
Deux
révolutions. Il faut remonter plus haut dans
l’histoire. Deux révolutions. Deux
grandes ruptures ouvrent fondamentalement de nouvelles possibilités
humaines. Deux gigantesques révolutions. Et deux seulement !
Toutes les autres s'en nourrissent et s'articulent sur elles. Dix
mille ans nous séparent des émergences de la première.
Et quatre mille ans des origines de la seconde.
Intelligibilité
dialectique. Elles sont nombreuses les lectures historiques
qui pèchent contre la dialectique. On reste insensible
aux différences qualitatives énormes entre les valeurs
et les enjeux de l'Antiquité et ceux de la modernité.
On refuse de mesurer concrètement le poids des obstacles
épistémologiques et pragmatiques. On reste aveugle aux
dynamismes pro-vocateurs. On privilégie de façon
perspectiviste un faisceau de vecteurs historiques en faisant
l'économie de leurs antithétiques conditions de
possibilités. On perçoit fallacieusement en continuité
ce qui n'est intelligible qu'en rupture à travers un
affrontement.
La dynamique interne de
la modernité. Elle reste inintelligible sans
l'affrontement et l'inter fécondation dialectiques
de gigantesques différences. L'homme
occidental n'est pas né par parthénogenèse !
L'Occident est né de père et de mère. De père
et de mère différents !
Notre mère est païenne.
Notre père est
judéo-chrétien. L'extrême simplicité
d'une telle assertion risque de cacher l'extraordinaire complexité
parallèle, le dense réseau avec ses enchevêtrements
de lignes d'ascendance, de descendance et de collatéralité.
Du côté maternel et du côté paternel...
Indo-européens, Celtes, Germains, Slaves, Sémites,
Arabes... Dans l'improbable rencontre entre une telle mère et
un tel père deux mondes différents allaient
s'affronter. Deux mondes humains ayant chacun sa langue, son
histoire, ses valeurs, ses principes, ses articulations logiques, ses
systèmes de représentation, ses formes de perception,
ses codes régulateurs, ses types d'organisation, ses options
fondamentales, ses prégnances, ses finalités. Deux
espaces culturels différents jusqu'à la contradiction.
L'homme occidental ne se comprend pas lui-même s'il
méconnaît les gigantesques différences qui se
sont affrontées et inter fécondées pour lui
donner naissance. De son héritage maternel, il tient ses
`composantes'. De son héritage paternel, ses `exposantes'.
Tous les meurtres du père, périodiquement et
rituellement perpétrés, ne pourront rien contre cette
évidence première.
Dialectique.
De l'inter fécondation des acquis
thétiques de la révolution
néolithique et des exposantes antithétiques
de la révolution judéo-chrétienne
naîtra, après une très longue gestation, un
extraordinaire déploiement de croissance et d'accélération.
Le moteur de cette étreinte d'extrême différence
est dialectique. Le génie païen avait bouclé
en harmonie la plénitude immanente de l'humain. C'est cette
positivité de la perfection 'thétique' qu'affronte la
négativité 'anti-thétique' des dynamiques
judéo-chrétiennes. Tout se passe comme si les'mécanismes' néolithiques se mettaient à
fonctionner de façon exponentielle. L'outil produisant
l'outil qui le dépasse, une masse d'outilité gonfle et
déborde. L'invention provoque l'invention de plus en plus
hardie. De plus en plus énormes se suivent les vagues
technologiques. Substituts, désormais, de la Foi, de
l'Espérance et de la Charité: la 'Science', le
'Progrès' et le 'Bien-être pour tous'.
Priorité
de l'autre sur le même. En profondeur, très
essentiellement, cette étreinte promise à tant de
fécondité dialectique est celle entre le même
et l'autre. La radicale nouveauté
judéo-chrétienne pose l'autre avec
une priorité ontologique, logique, axiologique, génétique,
sur le même. Le même païen
se trouvant ainsi radicalement pro-voqué vers son
propre dépassement.
Rupture.
Nous risquons parfois de croire un peu naïvement que ces
acquis qui se trouvent à l'avant-scène de notre
modernité nous viennent en ligne directe, par évolution
continue, de la problématique païenne. Or ils impliquent
tous une gigantesque rupture. Car ces concepts-clés vivent
aujourd'hui d'une `ouverture' qu'ils ne pouvaient acquérir
qu'à travers un affrontement avec leur `autre'. Il fallait des
générations d'hommes – aujourd'hui peut-être
méconnus – pour les penser dans leur différence. Le
temps entre création et parousie. L'histoire entre temps et
éternité. La personne entre individu et acte créateur.
L'existence entre être et création. La liberté
entre essence et existence. L'expérience entre intelligible et
réel (physique et mystique). La destinée entre fatum et
grâce. La faute entre destin et péché...
Etreinte
d'un maximum de différence. Nulle part ailleurs autant
de différence ne s’est étreinte qu’en notre
Occident. Nulle part ailleurs ne fut libéré une plus
grande dynamique. L’étreinte dialectique entre
COM-posantes et EX-posantes. De son héritage maternel, il
tient ses ‘composantes’. De son héritage paternel,
ses ‘exposantes’. Tous les meurtres du père,
périodiquement et rituellement perpétrés, ne
pourront rien contre cette évidence première.
Composantes
et exposantes. Les premières garantissent les
cohérences et les harmonies. Les secondes ouvrent la démesure.
La rencontre providentielle entre notre mère
païenne et notre père judéo-chrétien fait
s'étreindre les maternelles composantes et
les paternelles exposantes. Deux longues séries
d'antinomies radicales dont on n'évoque ici que les axes
majeurs. L'absolu `Je suis' face à l'absolu `Il y a`. La
liberté personnelle face à la nécessité
naturelle. Le dessein face au destin. L'histoire face à
l'éternel retour. La Création face au Cosmos. L'infini
face au fini. La démesure face à la mesure. Les
extrêmes face au milieu. L'aventure et le risque face à
l'harmonie et à la sécurité...
Ainsi,
par exemple, ce cosmos rationnel des Grecs ne pourra-t-il
devenir scientifiquement articulable, désarticulable et
réarticulable que lorsqu'il ne sera plus absolu ni divin en
lui-même mais, comme l'affirme avec force la raison
judéo-chrétienne, créé, créé
par un Dieu Tout-Autre, c'est-à-dire créé
contingent, d'un autre ordre, créé essentiellement
différent de Dieu, restant parfaitement rationnel mais
devenant en même temps monde de l'homme, livré à
la libre entreprise de l'homme qui peut désormais explorer
systématiquement l'univers et dont le domaine du possible,
science et technique, s'ouvre à l'infini. Cette science et
cette technique ne pourront réellement devenir progrès
que lorsque le temps, sans refuser la rationalité, ne sera
plus cercle fermé mais, selon la nouveauté
judéo-chrétienne, ligne ouverte indéfiniment en
avant d'elle-même, donc le temps décisif de l'histoire
et le temps de l'audace pour l'homme qui, loin d'être
prisonnier de l'ordre nécessaire, est désormais capable
d'instaurer son ordre à lui et de rêver de devenir,
comme le dira Descartes, maître et possesseur de la nature.
Ainsi, par exemple, à
l'homme, ce 'microcosme' lié à la nécessité
du cosmos et de la cité, sera-t-il révélé
qu'il est encore plus profondément fils de Dieu et donc
investi d'une liberté radicale et inaliénable. Il se
découvrira `personne'. Raison et liberté si puissamment
étreintes en lui le porteront à toutes les hardiesses.
L'homme moderne est incompréhensible sans cette dialectique en
lui de nécessité rationnelle et de liberté
créatrice, de mesure logique et de démesure libertaire,
de continuité et de rupture, d'insistance immanente et
d'exigence transcendante. A un tel homme seulement peut s'ouvrir
l'impossible. Un tel homme seulement peut en prendre le risque et
courir l'aventure.
L’analyse
des dimensions essentielles, des insistances centrales et des
lignes de force majeures de ces deux espaces hétérogènes se
traduirait en longue série de polarités fondamentales
antithétiques dont voici un échantillon.
Composantes maternelles |
|
Exposantes paternelles |
|
|
|
absolu 'il y a' |
|
absolu 'Je suis' |
fini |
|
infini |
même |
|
autre |
milieu |
|
extrêmes |
mesure |
|
démesure |
nature |
|
personne |
être |
|
exister |
continuité |
|
rupture |
destin |
|
destinée |
cosmos |
|
création |
structure |
|
gratuité |
nécessité |
|
liberté |
objet |
|
projet |
éternel retour |
|
histoire |
éros |
|
agapè |
harmonie |
|
aventure |
ordre |
|
révolution |
sécurité |
|
risque |
possible |
|
impossible |
De
mère païenne ET de père judéo-chrétien.
Si le même
reste clos sur lui-même, jamais
rien d’autre ne
sera. La nouveauté est enfant de la différence qui
s’affronte dialectiquement. Nulle part ailleurs autant de
différence ne s’est étreinte qu’en notre
Occident. Nulle part ailleurs ne fut libéré une plus
grande dynamique. L’improbable rencontre entre une telle mère
et un tel père allait se faire affronter deux mondes. Deux
mondes humains ayant chacun sa langue, son histoire, ses valeurs, ses
principes, ses articulations logiques, ses systèmes de
représentation, ses formes de perception, ses codes
régulateurs, ses types d’organisation, ses options
fondamentales, ses prégnances, ses finalités. Deux
espaces culturels différents jusqu’à la
contradiction. Deux cultures, donc deux ’matrices d’humanité’
étrangement hétérogènes !
Gigantesque
étreinte. La rencontre de la mère païenne
et du père judéo-chrétien représente la
plus gigantesque étreinte de différence imaginable !
Et de cette étreinte naît l’Occident. Sous le
signe d’éros et de thanatos...
Dialectique
genèse de l’Occident. Elles
sont nombreuses les lectures historiques qui pèchent contre la
dialectique. On reste insensible aux différences qualitatives
énormes entre les valeurs et les enjeux de l’Antiquité
et ceux de la modernité. On refuse de mesurer concrètement
le poids des obstacles épistémologiques et
pragmatiques. On reste aveugle aux dynamismes pro-vocateurs.
On privilégie de façon perspectiviste un faisceau de
vecteurs historiques en faisant l’économie de leurs
antithétiques conditions de possibilités. On perçoit
fallacieusement en continuité ce qui n’est intelligible
qu’en rupture à travers un affrontement. La
dynamique interne de la modernité reste inintelligible sans
l’affrontement et l’interfécondation dialectiques
de gigantesques différences.
L’homme
occidental n’est pas né par parthénogenèse !
L’Occident est né de
père et de mère. De père et de mère
différents !
Notre mère est
païenne. Notre père est
judéo-chrétien. L’extrême
simplicité d’une telle assertion risque de cacher
l’extraordinaire complexité parallèle, le dense
réseau avec ses enchevêtrements de lignes d’ascendance,
de descendance et de colatéralité. Du côté
maternel et du côté paternel... Indo-européens,
Celtes, Germains, Slaves, Sémites, Arabes... Dans l’improbable
rencontre entre une telle mère et un tel père deux
mondes différents allaient s’affronter. Deux mondes
humains ayant chacun sa langue, son histoire, ses valeurs, ses
principes, ses articulations logiques, ses systèmes de
représentation, ses formes de perception, ses codes
régulateurs, ses types d’organisation, ses options
fondamentales, ses prégnances, ses finalités. Deux
espaces culturels différents jusqu’à la
contradiction.
Refoulement.
A travers le discours qu’elle ne cesse de se tenir à
elle-même, à travers l’auto-compréhension
qu’elle élabore continuellement d’elle-même,
notre modernité joue à cache-cache avec l’énigme
de sa propre possibilité. Ici intervient quelque chose comme
un mécanisme de défense contre le père. Avec une
profonde nostalgie de parthénogenèse. L’Occident
refuse le Père. Il ne veut reconnaître que la mère.
Il n’a de tendresse que pour sa mère grecque. Il expulse
son père judéo-chrétien. La dynamique interne de
la modernité reste ainsi occultée.
Traumatisme
de naissance de l’Occident . En cet unique espace
culturel, par l’irruption de la nouveauté
judéo-chrétienne, l’homme a été
pro-voqué, défié, à devenir créateur
d’histoire, créateur d’historicité. Le seul
espace culturel également où l’angoisse ait
profondément pénétré ! Désormais
c’est à l’homme d’écrire l’histoire
des dieux ! Avec Dieu sans doute. Mais dans un rapport personnel
qui laisse responsable l’autonomie humaine et ouvert le risque.
Tâche infiniment exaltante mais
en même temps infiniment angoissante. La
grande peur humaine principiellement vaincue. Mais l’angoisse
exacerbée. Les mécanismes de défense brisés.
Le cercle fatal rompu. L’homme est pro-voqué par
l’Autre. Vers l’Autre. L’en-avant de la Terre
Promise. A travers la rupture de l’Exode.
L’homme
ose s’embarquer dans l’histoire. Assumer
l’histoire. Créer l’histoire. Et par elle se créer
lui-même. Paradoxalement non dans l’insistance sur
l’être mais dans le risque du non-être ouvert à
l’autre être. Risquer l’aventure.
Extraordinaire
aventure. Singulière aventure que celle de
l’Occident ! Le reste du monde, de gré ou de force,
pour son bonheur ou pour son malheur, n’est resté et n’a
pu rester étranger à cette aventure. Qu’on le
regrette ou qu’on s’en réjouisse, c’est un
fait. Un fait de l'Histoire. Extraordinaire aventure que
celle de l’homme
occidental. Devenue spectaculaire à travers l’aventure
de la modernité conquérante.
Une aventure qui est en même temps paradigmatique de l’humain
plus universel. Singulière aventure, en effet, que celle de
l’Occident ! Le reste du monde, de gré ou de force,
pour son bonheur ou pour son malheur, ne pouvait rester étranger
à cette aventure. C’est par la ‘force’ des
choses que l’Occident s’est imposé ‘universel’
en conquérant le monde. Par les armes. Par les techniques. Par
les séductions. Par les modèles. Pourquoi l’Occident ?
Pourquoi les Chinois, inventeurs de la boussole, ne l’ont-ils
pas utilisée pour la découverte du monde ? Et
pourquoi, ayant inventé la poudre à canon, ne s’en
sont-ils pas servis pour dominer par la force ?
La
modernité. Sans doute, ne
signifie rien de plus essentiel que la montée
d’une gigantesque euphorie.
Fondée sur l’homme. Fondée sur le possible de
l’homme. Fondée sur la puissance et la gloire de
l’homme. Rien ne semble impossible et immenses semblent les
raisons d’espérer... Substituts, désormais, de la
Foi, de l’Espérance et de la Charité: la
’Science’, le ’Progrès’ et le
’Bien-être’.
De l'étreinte
d'un maximum de différence naît l’Occident. Elle
libère une dynamique singulière qui ne sera cependant
pas immédiate, ne se faisant réellement explosive
qu’à partir du douzième siècle.
Pourquoi
l’Occident ? Pourquoi
l’extraordinaire dynamique de cette aventure ? Il ne
semble y avoir qu’une seule réponse. C’est la
dynamique dialectique du
défi réciproque, de l’affrontement et de
l’interfécondation de la gigantesque rencontre de
différence entre la com-posante grecque et l’ex-posante
judéo-chrétienne.
Le
moteur de cette étreinte d’extrême différence
est dialectique. Le
génie grec avait réussi à boucler en harmonie la
boucle des naturelles valeurs et significations ’païennes’.
Thèse parfaite de la plénitude immanente de l’humain.
Or c’est cette positivité de la perfection ’thétique’
qu’affronte la négativité
’anti-thétique’ des
significations judéo-chrétiennes.
Exponentielle.
A partir de cette interfécondation des
acquis thétiques de la révolution néolithique et
des exposantes antithétiques de la révolution
judéo-chrétienne naîtra, après une très
longue gestation, un extraordinaire déploiement de croissance
et d’accélération. Tout se passe comme si les
’mécanismes’ néolithiques se mettaient à
fonctionner de façon exponentielle. L’outil produisant
l’outil qui le dépasse, une masse d’outilité
gonfle et déborde. L’invention provoque l’invention
de plus en plus hardie. De plus en plus énormes se suivent les
vagues technologiques.
Ouvert. C’est
donc une liberté radicalement ouverte par la rencontre
existentielle avec l’infini JE SUIS qui va historiquement se
reprendre en elle-même et sur elle-même en autonomie
anthropocentrique totalisante. L’homme divinisé par
grâce de JE SUIS clôt sa divinisation sur elle-même
et veut devenir Dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors
Dieu doit mourir pour que l’homme puisse être
absolument.
Pourquoi cette longue
gestation ? En
apparence, durant longtemps, cette union semble promise à la
stérilité sinon à la catastrophe. Que n'a-t-on
dit des `ténèbres du Moyen Age' ! Pourquoi cette
relative 'lenteur', voire cette apparente 'régression' du
procès historique ? Il ne peut y avoir à cela que
des raisons profondes. L'énormité de la différence
ainsi rencontrée ne peut pas ne pas être traumatisante.
L'Occident ne sort ni facilement ni rapidement de son traumatisme de
naissance.
Raisons de la lenteur.
L’énormité de la différence
rencontrée ne pouvait pas ne pas laisser une profonde
blessure. L’Occident ne sortira ni facilement ni rapidement de
son traumatisme de naissance.
Temps de
gestation. En tout processus vivant,
les cycles gestateurs ou de maturation sont des cycles longs. Ici le
temps de gestation était inévitablement à la
mesure de l’énormité des différences qui
se sont étreintes. De telles semailles ne pouvaient que
traverser un très long hiver.
L'éternel
relativise le temporel. Lorsque l’éternité
est ouverte, le temps peut se faire patience. Les investissements se
font à très long terme. On sème pour une récolte
qui transcende les rythmes solaires. Étonnante patience !
Au Moyen Age encore, les décennies voir les siècles
nécessaires à la construction d’une cathédrale
sont loin de paralyser les projets. Et pourtant n’avaient-ils
pas une espérance de vie nettement plus courte que la
nôtre ?
Destructuration. La
révolution judéo-chrétienne désagrège
la massive cohérence gréco-romaine. Entre cette
déstructuration et la nouvelle restructuration, il faudra des
siècles de profonde re-signification et de lente
trans-signification. Grégoire le Grand... Vers l’an 600.
Deux siècles après, une première ‘Renaissance’
avec Charlemagne... Toute déstructuration laisse un
émiettement et un éparpillement d’éléments
structurels à partir desquels la construction d’une
nouvelle structure n’est pas immédiate. Elle l’est
d’autant moins que la structure détruite est plus
énorme. Or l’impact judéo-chrétien,
fondamentalement désagrégateur de toute clôture
structurale parce que son projet essentiel n’est pas
horizontale construction mais verticale ouverture, ne peut jouer que
de façon déstructurante et désagréger la
massive cohérence païenne, en l’occurrence
gréco-romaine. Entre cette déstructuration et une
nouvelle restructuration, il faudra des siècles de
réajustements.
Un monde sans
esclaves. La culture antique ainsi déstructurée
est ’élitiste’. Elle fonctionne insulairement. La
cité vit au détriment des immenses espaces environnants
et, dans la cité, neuf dixièmes des habitants sont
esclaves de la minorité citoyenne. La révolution
judéo-chrétienne proclame qu’il n’y a plus
ni esclave ni homme libre mais uniquement des fils et des filles du
même Père. Une telle ’démocratie’ et
son apprentissage ne peut être, durant de longs siècles,
qu’un facteur de profond dysfonctionnement. L’esclavage,
c’est-à-dire le mode de production où le
producteur-esclave, très peu consommateur, libère une
disponibilité de consommation, constitue l’outilité
motrice de la puissance antique. Or cette outilité est
principiellement niée par la nouveauté
judéo-chrétienne. Nécessaire conséquence
de la suppression de l’esclavage, c’est donc l’homme
‘libre’ qui doit se convertir en travailleur. Cette
conversion, cet apprentissage de la liberté libérée
est nécessairement un processus lent.
Défrichage.
La culture commence avec l’agriculture. Et l’agriculture
avec le défrichage. Que serait l’agriculture sans le
long travail préalable des ’moines défricheurs’ ?
Que veut dire 'progrès' ? Le
concept de ’progrès’ qui a si souvent servi de
cheval de bataille contre la pertinence judéo-chrétienne
est lui-même, comme bien d’autres concepts dynamiques,
fruit tardif de l’histoire à partir de
l’interfécondation entre les deux apports antithétiques.
Il a ses racines davantage au Sinaï qu’à Athènes.
Ce concept, essentiellement relatif, n’est ensuite devenu un
absolu que par manque d’Absolu et par substitution. Parce
que la nouveauté judéo-chrétienne refuse
d’enfermer l’homme dans le cercle vicieux de la
production bouclée sur la consommation, l’idée de
’progrès’ est signifiée et valorisée
par rapport à bien autre chose que le simple accroissement
cumulatif voire exponentiel de l’avoir et du pouvoir. Mais le
progrès spirituel est infiniment plus laborieux et plus lent
que l’autre.
Complexification.
L’affrontement entre composante gréco-latine et
exposante judéo-chrétienne n’a pas joué à
l’état pur. Il s’est compliqué et
complexifié comme à plaisir. Mesure-t-on assez, par
exemple, la perturbation que représente la menace permanente
et l’invasion successive des ’barbares’ ?
Ensuite la nécessaire ’durée’ entre les
affrontements jusqu’aux intégrations. Et que dire de
l’affrontement avec l’Islam ? Ces ’cousins’
spirituels farouches constitueront un défi majeur. Ici,
pourtant, la différence ne joue plus à l’état
brut et les espaces culturels ne sont pas fondamentalement
hétérogènes. Mais l’Islam se noue en
totalité idiosyncratique et risque ainsi de heurter sans cesse
l’autre de plein fouet dans un affrontement du tout ou rien.
L’Islam ne renvoie-t-il pas parfois à la révolution
judéo-chrétienne l’image de ce qu’elle
aurait pu devenir si elle s’était refermée sur
son absolu en refusant de rencontrer et d’affronter son ’autre’
pour l’étreindre et le féconder ?
Les
'valeurs' apportées par la révolution judéo-chrétienne
sont d’abord des anti-valeurs. Elles
risquent de laisser à la paganité de très
longues indigestions.
Embarqués
dans l'Histoire. En
cet unique espace culturel, par l'irruption de la nouveauté
judéo-chrétienne, l'homme a été
pro-voqué, défié, à devenir créateur
d'Histoire, créateur d'historicité. Le seul espace
culturel également où l'angoisse ait profondément
pénétré. L'humain est projeté hors de
lui-même. Hors de ses sécurités. Il lui reste à
risquer l'aventure... Il se trouve irrémédiablement
embarqué dans l'histoire. Voici que se rompent les
ataviques mécanismes de défense contre l'urgence
temporelle. Voici qu'il faut affronter l'ancestrale peur humaine
devant l'aventure et le risque. Voici que se brise le cercle
sécurisant de l'éternel retour. Cela peut être
exaltant. Cela ne peut manquer d'être en même temps
infiniment angoissant. Désormais l'homme est devenu
responsable de son présent et
de son avenir ! Et personne n'écrit plus l'histoire à
sa place.
Désormais c'est à
l'homme d'écrire l'histoire des dieux ! Avec Dieu
sans doute. Mais dans un rapport personnel qui laisse responsable
l'autonomie humaine, et ouvert le risque. Tâche infiniment
exaltante mais en même temps infiniment angoissante. La grande
peur humaine principiellement vaincue. Mais l'angoisse exacerbée.
Les mécanismes de défense brisés. Le cercle
fatal rompu. L'homme est pro-voqué par l'Autre. Vers l'Autre.
L'en-avant de la Terre Promise. A travers la rupture de l'Exode.
L'homme ose s'embarquer dans
l'Histoire. Assumer
l'Histoire. Créer l'Histoire. Et par elle se créer
lui-même. Paradoxalement non dans l'in-sistance sur l'être
mais dans le risque du non-être ouvert à l'autre être.
Risquer l'aventure... L'intelligibilité de l'histoire est
identiquement intelligibilité de l'homme. L'humain est ex-posé
dans l'histoire. Il est en même temps fils de l'histoire.
L'histoire propulse l'homme dans sa liberté. L'histoire est
l'espace de son é-ducation, de sa culture, de son exode.
La
démesure verticale explose à l'horizontale.
L'explosivité
judéo-chrétienne ne reste pas indéfiniment
contenue. Le fils de la mère grecque revendique pour soi
l'héritage paternel. L'homme révélé divin
par grâce veut devenir dieu sans le Père. L'homme
manifesté divin à travers l'expérience
judéo-chrétienne veut poursuivre seul cette expérience
sans Dieu.
La judéo-chrétienne
démesure, jusque là verticalisée, rompt la
'mesure' de l'Alliance et, chargée
d'une dynamique qui lui vient de l'Autre, se reprend en autonomie et
explose en horizontalité. Alors commence l'aventure de la
grande schizoïdie qui boucle le divin possible de l'homme sur
lui-même et le déploie, anthropocentrique, en son
immense caverne d'Utopie. Le fils de la mère païenne
revendique pour soi l'héritage
paternel. L'homme révélé divin à travers
l'expérience judéo-chrétienne veut devenir dieu
sans le Père.
Autonomie
anthropocentrique. L'acte de
naissance de la modernité rompt
la communion originaire et instaure l'homme dans son autonomie
anthropocentrique. La schizoïdie
des filles et des fils de Dieu n'a cessé de nouer sa cohérence
dans l'autistique constitution d'un espace de pure immanence.
La
judéo-chrétienne démesure, jusque là
verticalisée, rompt la ’mesure’ de l’Alliance
et, chargée d’une dynamique qui lui vient de l’Autre, se
reprend en autonomie et explose en horizontalité.
Rupture
de l'Alliance. Vous serez comme des dieux !
L'euphorie occulte alors ce qui un jour, nécessairement,
adviendra. C'est écrit: Ils virent qu'ils étaient
nus... Les dessous du jeu du Prince de ce monde n'ont
probablement jamais été autant soupçonnés
qu'en nos jours où cette folle aventure commence à
tourner mal.
L'acte de naissance de la
modernité scelle la rupture de l'Alliance. Cela
émerge, quasi imperceptible, quelque part autour de l'an 1100.
Cela débute par un `innocent' péché contre le
Logos, qui, alors, ne peut plus être simplement celui des
Grecs. La nominalistique tentation commence par susurrer cette simple
question: lorsque tu parles, lorsque tu penses, est-il nécessaire
qu'il y ait un garant autre que toi-même pour assurer la
consistance fondamentale de ta parole et de ta pensée ?
Ce doute chuchoté se fera clameur, amplifié par les
mille échos de la caverne. Cinq siècles plus tard, de
ce doute procédera l'affirmation fondatrice - je pense donc
je suis - de notre plus récente
modernité.
Huit siècles
d'histoire seraient à reprendre pour montrer comment, à
partir d'innocentes émergences, la démesure
judéo-chrétienne va courir son aventure en autonomie.
Comment par une série de ruptures de plus en plus audacieuses
cette démesure s'horizontalise dans l'immanence païenne
jusqu'à l'athéisme. Comment toute
l'aventure de la modernité n'est essentiellement, quant à
son énergie et sa fécondité, que la poursuite de
l'expérience judéo-chrétienne, mais sans
l'Autre, sans Dieu. Comment les plus dynamiques des valeurs de notre
modernité ne sont fondamentalement, malgré les
apparences trompeuses, que des valeurs judéo-chrétiennes,
mais tournant en 'roue libre', devenues 'folles', parce que hors de
la source de leur sens. Comment c'est chaque fois la plus grande
hardiesse contre l'Alliance qui se fait acclamer sur la scène
du monde en se faisant passer pour la plus 'libératrice'.
Comment, ce faisant, les 'mauvais rôles' à jouer
incombent quasi fatalement aux tenants de l'Alliance. Comment la
dynamique 'révolutionnaire' de leur foi leur est ravie,
récupérée sans la foi, et même tournée
contre eux. Contre l'Alliance. Malice du 'Prince de ce monde'...
Ironie de l'histoire... Humour de Dieu...
L'homme
divinisé par grâce veut devenir 'dieu' sans Dieu.
Le fils de l'Autre veut devenir fils
de soi-même. L'acte de naissance de la modernité rompt
la communion originaire et instaure l'homme dans son autonomie
anthropocentrique. Dès
lors et désormais une tension dialectique dans les
profondeurs de l'inconscient occidental. Constructeurs de la Cité
idéale ou aventuriers de l’Eschatologie...
Deux
génies opposés à travers notre histoire
occidentale. Une telle typologie différentielle
renvoie à une opposition profonde au cœur du projet
anthropologique. Quelque chose comme une division des esprits face à
l’accomplissement de l’humain. Deux types humains. Deux
projets d’humanité. Deux ‘essences’ qui
traversent l’histoire occidentale et divisent les esprits. Ils
se signifient de façon antithétique. Chercher refuge
dans le repli protecteur de l’Age d’or et de la Cité
idéale. Ou bien marcher vers la terre promise en risquant
l’aventure et en consommant les ruptures.
Constructeurs
de la cité idéalle et aventuriers de l'eschatologie.
D’un côté, le
retour dans le sein maternel avec ses archétypes. La femme
idéalisée vierge et mère. Le repli sécurisant
dans les coquilles. La maison protectrice. L’île
fortunée. La cité pourvoyeuse avec ses enceintes et ses
projets d’urbanisme. De l’autre côté, la
geste du Père avec ses archétypes paternels. Abraham.
Mais aussi la femme héroïne comme Judith. Les étendues
désertiques. Les transhumances nomades. Le campement toujours
provisoire. Les ‘constructeurs de la Cité Idéale’
rêvent d’établir le règne de l’homme
en un paradis terrestre. Les
‘aventuriers de l’Eschatologie’ cherchent le règne
de Dieu en un
royaume à venir. Les premiers sont en quête d’un
retour à la nature avec
le souci de l’hygiène, de l’écologie, de la
nudité, des aliments naturels. Les seconds tendent vers la
Parousie. Les premiers prônent la régulation des
naissances et l’eugénisme. Les seconds croient à
la fécondité et aux chances de l’imprévu.
Les ‘constructeurs de la Cité Idéale’
pensent ‘nature’ avec
ses lois là où les ‘aventuriers de
l’Eschatologie’ pensent ‘personne’
avec sa liberté. L’anonymat
d’un côté. Le nom propre de l’autre. Fils de
la même mère face aux frères conjurés sous
l’autorité du Père. Sédentaires face aux
nomades. ‘Eclairés’ ou ‘initiés’
face aux ‘élus’. Savants face aux prophètes.
Techniciens face aux théologiens. Administrateurs face aux
héros. Bourgeois face aux mystiques. Intelligentsia face au
peuple élu. Nationalisme face à l’universalisme.
Une
longue série d’antinomies. Nature ou
personne. Anonymat ou nom propre. Loi ou liberté. Mythe
cyclique ou histoire. Anti-hasard ou Providence. Structure ou
événement. Organisation ou décision. Symétrie
ou urgence. Planification ou conversion. Institution ou révolution.
Association ou prosélytisme. Eugénisme ou chances de
l’imprévu. Régulation des naissances ou
fécondité. Indifférence ou inquiétude
religieuse. Vide métaphysique ou angoisse. Négation de
la mort ou résurrection. Mesure ou démesure. Harmonie
ou persécution. Hygiène ou chasteté. Gnose ou
foi. Sagesse ou sainteté.