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Schizoïdie
La démesure verticale explose à l’horizontale.
L’explosivité
judéo-chrétienne ne reste pas indéfiniment
contenue. Le fils de la mère grecque revendique pour soi
l’héritage paternel. L’homme révélé
divin par grâce veut devenir dieu sans le Père. L’homme
manifesté divin à travers l’expérience
judéo-chrétienne veut poursuivre seul cette expérience
sans Dieu.
Rupture de l'Alliance. La
judéo-chrétienne démesure, jusque là
verticalisée, rompt la ’mesure’ de l’Alliance
et, chargée d’une dynamique qui lui vient de l’Autre,
se reprend en autonomie et explose en horizontalité. Alors
commence l’aventure de la grande schizoïdie qui boucle le
divin possible de l’homme sur lui-même et le déploie,
anthropocentrique, en son immense caverne d’Utopie. Le fils de
la mère païenne revendique pour soi l’héritage
paternel. L’homme révélé divin à
travers l’expérience judéo-chrétienne veut
devenir dieu sans le Père.
L’acte
de naissance de la modernité scelle la rupture de l’Alliance.
L’acte de naissance
de la modernité rompt
la communion originaire et instaure l’homme dans son autonomie
anthropocentrique. Alors
commence l’aventure de la grande schizoïdie qui boucle le
divin possible de l’homme sur lui-même et le déploie,
anthropocentrique, en son immense caverne d’Utopie. La
schizoïdie des filles et des fils de Dieu n’a cessé
de nouer sa cohérence dans l’autistique constitution
d’un espace de pure immanence.
Nominalisme.
Cela émerge, quasi imperceptible, quelque part autour
de l’an 1100. Cela débute par un ‘innocent’
péché contre le Logos, qui, alors, ne peut plus être
simplement celui des Grecs. La nominalistique tentation commence par
susurrer cette simple question: lorsque tu parles, lorsque tu penses,
est-il nécessaire qu’il y ait un garant autre que
toi-même pour assurer la consistance fondamentale de ta parole
et de ta pensée ? Ce doute chuchoté se fera
clameur, amplifié par les mille échos de la caverne.
Cinq siècles plus tard, de ce doute procédera
l’affirmation fondatrice – ‘je pense donc je suis’
– de notre plus récente modernité.
A
partir d'innocentes émergences... Huit siècles
d’histoire seraient à reprendre pour montrer comment, à
partir d’innocentes émergences, la démesure
judéo-chrétienne va courir son aventure en autonomie.
Comment par une série de ruptures de plus en plus audacieuses
cette démesure s’horizontalise dans l’immanence
païenne jusqu’à
l’athéisme. Comment toute l’aventure de la
modernité n’est essentiellement, quant à son
énergie et sa fécondité, que la poursuite de
l’expérience judéo-chrétienne, mais sans
l’Autre, sans Dieu. Comment les plus dynamiques des valeurs de
la modernité ne sont fondamentalement, malgré les
apparences trompeuses, que des valeurs judéo-chrétiennes,
mais tournant en ’roue libre’, devenues ’folles’,
parce que hors de la source de leur sens. Comment c’est chaque
fois la plus grande hardiesse contre l’Alliance qui se fait
acclamer sur la scène du monde en se faisant passer pour la
plus ’libératrice’. Comment, ce faisant, les
’mauvais rôles’ à jouer incombent quasi
fatalement aux tenants de l’Alliance. Comment la dynamique
’révolutionnaire’ de leur foi leur est ravie,
récupérée sans la foi, et même tournée
contre eux. Contre l’Alliance... Malice du ’Prince de ce
monde’... Ironie de l’histoire... Humour de Dieu...
Bouclant
la boucle de l’homme sur lui-même. Nous
nous sommes constitué un empire d’humanité. De
façon autogène. Sans l’Autre. En autonomie. Sans
l’Autre. Avec nos longueurs à nous, nos largeurs à
nous, nos hauteurs à nous et nos profondeurs à nous.
Quelque chose comme une caverne – oui, impertinente pertinence
d’un Platon, déjà ! – une caverne
aux prétentions infinies, mais ultimement caverne quand même.
Là nous nous sommes ouvert un monde de possibilités
simplement phénoménales. L’infinité de ces
possibilités pouvait nous donner assez de vertige pour nous
étourdir face aux questions essentielles. Alors nous nous
sommes mis à ne plus chercher notre humanité que dans
le vaste jeu de ces possibles, dans l’extension de notre champ
d’être et d’action, dans notre ‘présence’
au monde et notre emprise sur lui, sur les autres, sur l’histoire.
Nous avons scientifiquement désarticulé la densité
de l’être pour disposer d’un foisonnement
d’éléments articulables et réarticulables
indéfiniment, à notre guise. Cela nous a rendus maîtres
des possibilités constructives. Et, effectivement, nous nous
sommes mis à construire, à construire en tous les sens
du mot et dans tous les domaines, avec frénésie. A
partir d’atomes de facticité. Au point de confondre le
sens avec cette constructivité. Nous y avons perdu l’âme.
Parce que l’âme ne se construit pas et que la
construction l’oppresse. L’âme inspire. L’âme
aspire. Dans le souffle de l’Esprit.
Schizoïdie.
La schizoïdie des filles
et des fils de Dieu n’a cessé de nouer sa cohérence
dans l’autistique constitution d’un espace de pure
immanence. Contre le Père. De cet espace de stricte ‘humanité’
il fallait – symétrique inversion du récit de la
Genèse ? – chasser Dieu. De trop, donc, le père
judéo-chrétien, devant la revendication d’une
origine purement parthénogénétique à
partir de la seule vierge Athena. De trop, le Père de l’Etre,
du Bien et de la Vérité puisque nous suffisent nos
propres productions, nos propres valeurs, nos propres lucidités.
Puisque nous prétendons être à nous-mêmes
notre propre source. De trop, outrageusement de trop, le Père
avec son Fils et le saint Esprit ! Une fois le lien
rompu, tout se passe comme si la tâche philosophique
par excellence ne pouvait plus être que la critique.
Tâche de la connaissance nue de l’homme nu.
Négative
théologie négative. En ses profondeurs se joue
quelque chose comme une négative théologie négative.
C’est une liberté radicalement
ouverte par la
rencontre existentielle avec l’infini Je Suis
qui va historiquement se reprendre en
elle-même et sur elle-même en autonomie anthropocentrique
totalisante. L’homme divinisé par grâce
de Je Suis
boucle sa divinisation sur elle-même
et se prétend dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès
lors Dieu doit mourir pour
que l’homme puisse être absolument. Pourtant on n’en
finit pas de chasser Dieu. Il résiste au-delà de toute
logique et de toute cohérence. Car la logique et la cohérence
ne sont que de surface. Profondément, beaucoup plus
profondément, occultée, refoulée, se joue,
fascinante et effrayante, la grande dramaturgie. Mystérieuse
négative théologie négative ! Le corps à
corps des esprits, plus meurtrissant que le combat de Jacob avec
l’Autre. L’homme n’en sort jamais que déhanché.
Et la lutte reprend... La théomachie se poursuit.
Le
lien rompu. La schizoïdie épistémique
ne projette-t-elle pas finalement sa coupure dans l’être ?
Même si Descartes pense encore en référence à
une ‘nature des choses’, sur fond de métaphysique
de la substance, il n’en demeure pas moins qu’il aboutit
effectivement à dichotomiser l’être. Sans lui
trouver d’autres liens que des liens artificiels.
Le
réel flottant. Entre substance infinie et substance
finie, outre que le concept même de substance glisse dans
l’équivoque, quel est le rapport ontologique ?
Quelle consistance et quelle autonomie peut-il rester à la
substance finie ? Ne risque-t-elle pas de se voir réduite
à une articulation ‘mécanique’ à
partir d’une unique substance ? Et qu’advient-il
alors de l’autonomie de la personne humaine ? Entre
substance finie pensante et substance finie étendue le clivage
est désormais quasi insurmontable. Comment surmonter ce
dualisme ? Tâche de toute la philosophie post-cartésienne.
Ou bien on souligne la dualité substantielle et alors se pose
le problème infini du lien. Ou bien on souligne le lien et
alors il faudra bien en venir à privilégier l’un
des termes de la dualité, en perdant l’autre. Mais il
est impossible de poser le problème de la substance sans poser
en même temps celui de la causalité. C’est donc
très profondément le rapport du ‘même’
et de l’ ‘autre’ qui est atteint. Et plus
profondément encore l’acte même de
‘création’.
Mécanisme.
Le mécanisme saurait-il porter une solution ? Les
impasses de la logique mécaniste: deux substances finies
hétérogènes: matière et esprit, extension
et pensée. D’où le problème du lien et de
la causalité. Le mécanisme empiriste déclare
forfait en refusant la substance et en se réfugiant dans un
monisme. Le mécanisme rationaliste veut penser la relation de
façon géométrique. L’extension est
articulable géométriquement et mécaniquement par
la pensée. Articulation de la stricte spatialité
quantitative et de la stricte contiguïté de mouvements
quantitatifs. Par exemple: entre l’extension du corps et la
saisie, par la pensée, de cette extension peuvent s’intercaler
des extensions minimales (infinitésimales) douées d’une
rapidité maximale: les ‘esprits animaux’
cartésiens. Mais une telle façon de penser la relation
ne surmonte que la spatialité mécanique et reste
essentiellement en extériorité. Une extension même
infinitésimale reste extension. Une vitesse même
maximale reste parcours d’une extension. La relation est sans
doute plus ‘faisable’. Reste cependant l’inintelligible
fondamental: comment finalement coïncide dans l’identité
l’hétérogène de l’extension
matérielle et de l’intention spirituelle ? Le lien
causal ne peut être autre chose qu’un rapport
d’articulation. Comment dépasser cet ‘artifice’ ?
Chasser
Dieu. De cet espace de stricte ‘humanité’
il fallait – symétrique inversion du récit de la
Genèse ? – chasser Dieu. De trop, donc, le père
judéo-chrétien, devant la revendication d’une
origine purement parthénogénétique. De trop, le
Père de l’Etre, du Bien et de la Vérité
puisque nous suffisent nos propres productions, nos propres valeurs,
nos propres lucidités. Puisque nous prétendons être
à nous-mêmes notre propre source. De trop,
outrageusement de trop, le Père avec son Fils et le Saint
Esprit ! Pourtant on n’en finit pas de chasser Dieu. Il
résiste au-delà de cette logique et de cette cohérence
qui ne sont que de surface. Profondément, beaucoup plus
profondément, occultée, refoulée, se joue,
fascinante et effrayante, la grande dramaturgie. Mystérieuse
négative théologie négative ! Le combat de
Jacob n’en finit pas. Le corps à corps des esprits, plus
meurtrissant que le combat de avec l’Autre. L’homme n’en
sort jamais que déhanché. Et la lutte reprend... La
théomachie se poursuit.
Une
fois l’Alliance rompue...
Une fois l’Alliance
rompue, une fois Dieu refoulé, il reste à l’homme
le repli autistique sur soi-même. Quelque chose comme une
schizophrénie. L’esprit coupé. L’esprit
divisé. L’esprit cassé. Nous n’avons plus
besoin de toi ! Voici que le possible humain expulse la grâce
et se voit livré aux péchés capitaux.
C’est-à-dire aux sources du péché. Et en
premier lieu, l’orgueil. Les choses peuvent-elles désormais
tourner autrement qu’après l’originelle rupture ?
Vous serez comme des dieux. La
séduction du tentateur devenait irrésistible.
Ensuite... Ils virent qu’ils étaient nus. Reste
la honte ou l’exhibitionnisme. La modernité opte pour le
deuxième terme de l’alternative.
Dieu
n’est plus l’ultime englobant. Il
est lui-même englobé dans un plus grand que lui. Il
relève désormais du seul possible humain. Et ce
possible le déclarera de plus en plus comme impossible. Dans
la meilleure des hypothèses une chance lui est laissée
aux limites. Ainsi pour Kant, au-delà des possibilités
‘théoriques’ de la raison, s’impose un
impératif catégorique. Une pure exigence ‘pratique’.
Et celle-ci ne peut pas ne pas postuler au-dehors de la sphère
du possible de l’homme un quelque chose qui prend nom Dieu, et
liberté, et immortalité. Non plus certitude. Simple
postulat.
La force de l’évidence
doit venir désormais de la subjectivité qui n’a
plus besoin d’autre garant qu’elle-même. C’est
elle qui veut se poser comme fondatrice de la totalité
pensable. Ainsi donc doit s’accomplir le renversement
‘copernicien’ de l’être à la pensée.
Une nouvelle courbure de
l’espace mental. Une nouvelle gravitation de l’être.
Idéalisme.
Le réel en lui-même est hors de notre
possible. Reste l'étendue du réel-pour-moi,
c'est-à-dire du virtuel. Là l'Idée
établit son règne absolu et prolifère sous les
espèces de l'idéologie. L’autonomie du
sujet connaissant est le point de départ de tout 'idéalisme'
pour qui un au-delà de la connaissance est inconnaissable, un
au-delà de la pensée, impensable, un au-delà de
l’idée, impossible. Exit la ‘transcendance’.
Reste la ‘visée transcendantale’.
Le
possible de l’homme, centre de perspective sur la totalité.
La vérité sur toutes choses n’est
désormais qu’à partir de la pensée
humaine. C’est elle qui est l’immédiateté
première. C’est elle qui fonde les fondements de son
savoir. Car Dieu lui-même, encore garant de mes évidences,
est-il lui-même évident autrement qu’à
travers l’idée claire et distincte de ma pensée ?
Je pense Dieu qui garantit la vérité de ma pensée !
Cercle vicieux ? Descartes, cependant, n’en est pas encore
tout-à-fait là ! Nous ne pensons l’imparfait
et le fini que sur fond de parfait et d’infini. Nous avons donc
en nous l’idée claire et distincte de l’être
absolument parfait. Quelle est la chance d’existence de cet
être parfait ? Mais l’existence n’est-elle pas
nécessairement inhérente – argument ontologique –
à l’idée ? Cette idée qui ne peut
venir ni du néant ni radicalement de nous-mêmes. Elle
est nôtre, certes, mais en même temps elle renvoie encore
ailleurs. Pour combien de temps ‘encore’ ? Même
sans être créateur ex nihilo de l’idée
claire et distincte, c’est quand même en
mon possible qu’elle
prend conscience d’elle-même. Et c’est ce possible
qui désormais héberge le doute. Y a-t-il un Dieu ?
Et s’il était trompeur ?
Le
strict possible humain en stricte immanence.
Le renversement copernicien de
la modernité s’absolutise. Il ne se veut plus seulement
méthodologique mais métaphysique. En brûlant en
même temps les ponts de ‘la’ métaphysique.
Le possible humain se reprenant en anthropocentrique rationalité
ne pouvait pas ne pas expérimenter dans le mouvement en
clôture d’immanence l’ouverture de transcendance
congénitale à la raison. Aussi les systèmes
‘rationalistes’ du XVIIe siècle restent-ils, comme
malgré eux, davantage en continuité qu’en rupture
avec les grands courants de la métaphysique
classique.
Empirisme. Plus
spécifiquement ‘moderne’ sera la rupture
empiriste. Commencée au XVIIe siècle, elle dominera le
siècle suivant et inspirera grandement les siècles
suivants. 1690: ‘Essai sur l’entendement humain’ de
Locke. - 1710: ‘Traité sur les principes de la
connaissance humaine’ de Berkeley. - 1739: ‘Traité
de la nature humaine’ de Hume. - 1748: ‘Essai sur
l’entendement humain’. - 1754: ‘Traité des
sensations’ de Condillac. En eux-mêmes, ces quelques
titres disent tout un programme. De la mise en question de
l’entendement à l’affirmation de la sensation. Le
strict possible humain en stricte immanence. La finitude se boucle
sur la pure empirie physique et la pure facticité
spatio-temporelle. Toute ‘métaphysique’, étant
expulsée, l’être et la connaissance sont ramenés
dans les limites d’une stricte ‘physique’. Là,
dans les limites de l’immanence, ne règne plus qu’un
monisme. Et ce monisme est matérialiste. Et ce monisme est
réductionniste. Le supérieur se réduit à
l’inférieur. Le tout se réduit à la
partie. L’inférieur explique le supérieur. La
partie explique le tout. Que deviennent dès lors la
connaissance, la substance et la causalité ?
La schizoïdie s’absolutise. De l’absolu divin vers l’absolu en immanence anthropocentrique. A la place du Verbe de Dieu qui éclaire tout homme, lumière constituante de toute lumière, le verbe de l’homme s’auto-éclairant...
Dieu
chassé de notre paradis. Les
dessous du jeu du Prince de ce monde n’ont probablement jamais
été autant soupçonnés qu’en nos
jours où cette folle aventure commence à tourner mal.
La schizoïdie des filles et des fils de Dieu n’a cessé
de nouer sa cohérence dans l’autistique constitution
d’un espace de pure immanence. Contre le Père. De cet
espace – culturel, mental, épistémo-logique,
pragmatique – de stricte ’humanité’, il
fallait – symétrique inversion du récit de la
Genèse ? – chasser Dieu. De trop, donc, le père
judéo-chrétien, devant la revendication d’une
origine purement parthénogénétique à
partir de la seule vierge Athena. De trop, le Père de l’Etre,
du Bien et de la Vérité puisque nous suffisent nos
propres productions, nos propres valeurs, nos propres lucidités.
Puisque nous prétendons être à nous-mêmes
notre propre source. De trop, outrageusement de trop, le Père
avec son Fils et le saint Esprit !
Pourtant
on n’en finit pas de chasser Dieu. Il résiste
au-delà de toute logique et de toute cohérence. Car la
logique et la cohérence ne sont que de surface. Profondément,
beaucoup plus profondément, occultée, refoulée,
se joue, fascinante et effrayante, la grande dramaturgie. Mystérieuse
négative théologie négative ! Le corps à
corps des esprits, plus meurtrissant que le combat de Jacob avec
l’Autre. L’homme n’en sort jamais que déhanché.
Et la lutte reprend... La théomachie se poursuit. Au moment
même où l’homme a cru boucler la boucle de sa
propre divinité, déjà se lèvent les
‘maîtres penseurs’ du soupçon. Marx.
Nietzsche. Freud. Les Maîtres penseurs du soupçon n’ont
pas fini d’annoncer la mort de Dieu que déjà les
Maîtres penseurs de l’absurde annoncent la mort de
l’homme.
Au
commencement. Le
premier chaînon des ‘longues chaînes de raisons’ ?
Leur anneau d’ancrage ? Il faut commencer par le vide. Il
faut que soit méthodologiquement le doute pour que
métaphysiquement puisse être l'absolu fondement.
Puisque tout commence à partir de l’homme. Maître
désormais non seulement des significations mais aussi de la
substance et de la causalité. Articulables archéologiquement
et téléologiquement en infinie outilité. La
Genèse devenue totalement anthropocentrique. ‘Au
commencement’, le ‘poïète’ non plus
divin mais humain. Au commencement sera le DOUTE.
La
schizoïdie
s’absolutise. De
l’absolu divin vers l’absolu en immanence
anthropocentrique. A la place du Verbe de Dieu qui éclaire
tout homme, lumière constituante de toute lumière, le
verbe de l’homme s’auto-éclairant. Meurtre
du Père. La volonté consciente de rejet des valeurs
judéo-chrétiennes. Mais inconsciemment ces valeurs sont
reprises dans l’autonomie de la clôture 'laïque',
hors du sens total, hors de leur valeur valorisante.
Progrès.
Le ‘trans’ en immanence, investi dans le projet
temporel d’un dépassement en avant vers ‘plus’
de bien-portance, devenant ‘Progrès’. L’idéologie
du progressisme. Nouvelle croyance. Nouvelle ‘religion’.
La sacralisation du verbe en clôture. Idéologie de la
schizoïdie triomphante. Avec sa suite. L’athéisme.
Le matérialisme. En quelque sorte la ‘raison’
bourgeoise qui absolutise idéologiquement sa bien-portance. La
‘raison’ schizoïde qui se dit à elle-même
un discours totalitaire en-dehors duquel il ne doit plus être
possible ni d’avoir ‘bonne conscience’ ni d’avoir
‘bonne mine’. Le discours concertant de l’idéologie
du progressisme qui ne tolère que la non-contradiction de sa
propre concertance. Militance: entrer dans le ‘même’
du discours auto-valorisant bien-portant. Mécanisme
d’expulsion: toute autre parole, n’étant plus
sortable, est marginalisée et exclue. La ‘tolérance’
est revendiquée alors même que se met en place un
mécanisme fabricateur d’intolérance. Un mécanisme
qui fonctionne à la limite du rationnel où le
‘sous-entendu’ de la connivence bourgeoise se diffuse en
l’air ‘entendu’ de la chanson ‘dans le vent’
mettant les rieurs - bien-portants effectifs ou potentiels - de son
côté.
L'homme se
veut être 'maître et possesseur' de l'univers. Mais il
a beau faire tout ce qu'il voudra, son 'royaume' ne pourra jamais
être autre chose qu'une 'bulle' flottante'.
Flirt
avec le néant. Signe d'un temps où l'homme
ne peut plus survivre après avoir rompu les liens
ontologiques, après avoir perdu le signifié et proclamé
le déclin des absolus, du sens et de la valeur. Signe d'un
temps où l'homme ne peut pas ne pas mourir après avoir
fait mourir Dieu... Ne reste-il réellement que le signifiant
nu, insensé, tournant à vide dans la finitude ?
Lorsqu'on perd le sens de l'homme, on est prêt à se
prostituer aux résidus idéologiques d'une simple
méthode.
L’être
désarticulé. Le
tout se reprend intellectuellement et matériellement comme un
merveilleux mécano qui nous permet de jouer le plus
sérieusement du monde. Nous avons scientifiquement désarticulé
la densité de l’être pour disposer d’un
foisonnement d’éléments articulables et
réarticulables indéfiniment, à notre guise. Cela
nous a rendus maîtres des possibilités constructives.
Et, effectivement, nous nous sommes mis à construire, à
construire en tous les sens du mot et dans tous les domaines, avec
frénésie. A partir d’atomes de facticité.
Au point de confondre le sens avec cette constructivité. Nous
y avons perdu l’âme. Parce que l’âme ne se
construit pas.
Dans
la ‘bulle'. La
totalité constituante n’est plus donnée
absolument. Une ‘bulle’ se constitue ex nihilo. Elle se
boucle en finitude. Elle flotte dans le vide sans recours.
L’objectivité étant néantisée reste
la subjectivité objectivée. Le sens constitué
s’identifie au sens constituant. Les effets se rendent
autonomes. La méthode se fait plus importante que les
liens.
La signification schizoïde.
Impossible recherche d’un langage qui soit, selon
l’espression de Rimbaud, l’âme pour l’âme.
Le signe se trouve de plus en plus vidé face à l’
‘objet’ qui fuit à l’infini. Le signe se
coupe du référent. Le signifiant se coupe du signifié.
C’est la subjectivité qui crée les signes et les
signifiants. Le signe schizophrère s’éclate. La
parole se désintègre. La parole humaine n’est
plus à partir du sens mais se veut créatrice du sens.
Le discours subjectif devient archéologiquement constituant.
Reste une anarchie nominaliste "créatrice" d’une
infinité de langages et d’une infinité de
confusions. Babel !
La parole
devenue folle. Folle comme une roue qui ne cesse de
tourner ayant perdu son ‘embrayage’. Toute crise est
toujours en même temps crise de la parole. C’est-à-dire
de la signification. Très profondément une crise du
sens total. Alors les hommes ont beau construire la plus merveilleuse
des tours. Ils ne se comprennent plus. La parole est livrée à
l’équivoque. Parce que le sens éclate. Parce
qu’ils ne boivent plus à la même source du sens.
La plus belle des tours ne peut être que vouée à
la ruine !
Ce que parler ne veut
plus dire. Lorsque
les référentiels glissent en immanence et que les
valeurs se reprennent dans la courbure anthropocentrique. Lorsque la
Parole de Dieu ne transcende plus ce possible et ne lui confère
plus sa norme. Lorsque la vérité tout entière
est livrée au seul possible de l’homme. Reste le
‘Discours Dominant’. Avec ses ‘Maîtres
penseurs’. Et les camps de concentration pour les pauvres
libertés rebelles.
L’horizon
indépassable... L’expression
est de Jean-Paul Sartre, mais l’idée était dans
(presque) toutes les têtes. Il s’agit du marxisme
qui occupait alors largement le champ
intellectuel et nourrissait le Discours des Maîtres penseurs du
temps. Tout le monde se mettait à humer goulûment l’air
du temps. Personne ne voulait rater le train de l’histoire et
rester en marge du messianisme des temps modernes. Comment ne pas
communier à l’alliance enfin célébrée
entre ceux qui pensent et ceux qui travaillent ? Quintessence de
la ‘modernité’, le marxisme s’identifie
alors à l’espérance tout
court. L’espérance au-delà de laquelle aucune
espérance ne pouvait plus jamais trouver de place. L’horizon
indépassable de
notre modernité.
La
raison schizoïde. Ayant coupé les liens avec la
totalité théo-onto-logique, la raison schizoïde se
boucle sur elle-même jusqu’à la déraison.
Elle a beau vouloir se diviniser et se parer d’une Majuscule,
en fait il ne lui reste que de tourner en rond dans l’enclos de
la tautologie. Le règne des cercles vicieux et des tâches
impossibles. Etre à soi-même l’absolue source
chaude... Fonder ses propres fondements... Tout peut devenir légitime
parce que tout peut se légitimer. Il faut donc jouer ou se
battre. Jouer en se fermant les yeux sur le fait que les règles
du jeu soient seulement conventionnelles. Ou se battre pour se mettre
d’accord sur les conventions. Mais s’il n’y a plus
d’arbitre ?
Suprême
illusion schizophrène, l’homme impeccable.
C’est-à-dire l’homme
au péché refoulé. Avec la question sans
réponse du moderne Camus. “Qui nous pardonnera ?”
Avec le réflexe infantile de cacher la faute ou bien de
trouver le coupable hors de soi-même. Tout le 'positif' entre
les mains du Maître et possesseur'. Mais qui prend en charge
le 'négatif' dans la bulle ? La 'justice' désormais
ne cesse de courir après la Justice. Il faut bien décharger
les résidus de nos frustrations sur un 'bouc émissaire'.
Cela calme nos passions mais ne rend pas la justice. Combien de
temps cela peut-il tenir sans cinglante déconfiture ?
Face à l’absolu du mal... Face à l’incontournable
de la négativité... Que devient l’homme faillible
sans radicale possibilité de pardon ? Si l’homme
est responsable sans recours, ‘qui nous pardonnera ?’,
pour reprendre la question du moderne Camus. Et sans pardon
reste-t-il autre chose que la honte ou la fuite ? Souvent les
deux en même temps.
Sans
recours. Voilà
donc le possible de l’homme livré à lui-même.
Une grande euphorie pour celui qui se veut être ‘maître
et possesseur’ de toutes choses. Mais, en même temps, une
tâche qui se fait infinie. Car désormais il s’agit
de fonder ses fondements, de certifier ses certitudes et de valoriser
ses valeurs. Sans recours. Toute justification s’étant
interdit un dehors d’elle-même,
c’est désormais à l’intérieur
de la clôture qu’il
faudra fonder et justifier. Le vrai, par exemple, ne pouvant plus se
fonder autrement que par la seule non-contradiction à
l’intérieur d’une
totalisation schizoïde. Dès lors seule l’articulation
interne, c’est-à-dire la
méthode, est capable de faire la vérité.
Empirismes et rationalismes se justifient tour à tour par une
insistance sur un ‘je perçois’ ou un ‘je
conclus’. Phénomènes ou rapports logiques,
qu’importe au fond puisque l’intelligence reste
prisonnière de son seul possible. Comment dépasser
désormais les criticismes, les utilitarismes, les
relativismes, et tant d’autres ‘ismes’ à
haut coefficient d’incertitude ?
Quelle
justification reste possible ? Lorsqu’il
n’y a plus de valeur qui ne soit enclose dans les limites de l’
‘humain trop humain’. Lorsque toute légitimation
tourne en rond, autour d’elle-même. Lorsque tout peut
devenir légitime parce que tout peut se légitimer. La
raison coupée du réel absolu, la raison renvoyée
à sa propre justification par elle-même, ne peut pas ne
pas promouvoir son ‘Etre suprême’. Au pluriel !
Nature. Cosmos. Humanité. Société. Progrès.
Science. Etat... Rationalisations multiples. Autant de mécanismes
de défense ! Chaque fois un retour du refoulé sous
un avatar différent. Recherche désespérée,
sans cesse reprise, d’un ultime sacral dans un des possibles
humains. Une efflorescence en ‘ismes’ ! Il faut donc
jouer ou se battre. Jouer en se fermant les yeux sur le fait que les
règles du jeu soient seulement conventionnelles. Ou se battre
pour se mettre d’accord sur les conventions. Mais s’il
n’y a plus d’arbitre ?
Jamais
autant qu’aujourd’hui risquions-nous l'asphixie
spirituelle. Pourtant
n’a-t-il jamais existé une civilisation aussi riche en
productions culturelles que la nôtre ? Certes. Mais il
manque à cette prolifération de sens ‘constitué’
un espace ouvert à sa
démesure. Il lui manque le sens ‘constituant’.
Le sens qui donne sens.
Schizoïdie
théurgique. Mais la raison la plus profonde de
l’unidimensionnalité des sciences humaines qui ne
peuvent révéler qu’une des faces du mystère
humain c’est que, de fait, elles se constituent comme négative
théologie. L’endroit d’un
envers. L’envers d’un
endroit. Le refoulement massif témoigne négativement du
refoulé. Le même crie
négativement l’autre. Un vide de Dieu se remplit
étrangement de substituts inversés du divin. Là
où la totalisation schizoïde expérimente l’ultime
rétrécissement de la finitude et où elle croit
rencontrer l’absolu neutre côtoyant l’absolu néant
se situe un point décisif. Un point de rupture. Mais
d’intersection aussi. Et de symétrique inversion.
Comme
un trou noir... Ce sur quoi toute notre recherche sans cesse
converge, la béance, trouve là son lieu propre.
Comme un ‘trou noir’ qui happe les trompeuses
consistances. La béance semble s’abîmer dans le
néant. En fait elle ouvre aux sources. Elle accule
l’anthropo-logos aux
extrêmes. Non pas pour sa mort. Mais pour sa résurrection.
Une anthropologie négative ne
peut que situer dans l’humour radical les positivistes
consistances. C’est en leur cœur qu’elle surgit. Et
c’est dans leur négation qu’elle procède.
Dialectiquement.
La bulle schizoïde.
Le péché contre l'écosystème du
souffle a été de nier son essentielle ouverture.
Nous avons cru pouvoir le faire fonctionner en clôture, crispé
sur lui-même, bouclé en schizoïde autonomie
autoproductrice. Nous nous voulions maîtres et possesseurs du
système total lui-même. Bien plus, maîtres et
possesseurs aussi de sa source chaude et de son puits froid. Maîtres
et possesseurs, donc, de toute sa différence de potentiel,
c’est-à-dire de toute son énergie spirituelle
créatrice.
Dans
un espace sans Dieu. La schizoïdie des filles et des fils
de Dieu n'a cessé de nouer sa cohérence dans
l'autistique constitution d'un espace de pure immanence. Contre le
Père. De cet espace – culturel, mental,
épistémo-logique, pragmatique – de stricte
'humanité', il fallait – symétrique inversion du
récit de la Genèse? – chasser Dieu. De trop,
donc, le père judéo-chrétien, devant la
revendication d'une origine purement parthénogénétique
à partir de la seule vierge Athena. De trop, le Père de
l'Etre, du Bien et de la Vérité puisque nous suffisent
nos propres productions, nos propres valeurs, nos propres lucidités.
Puisque nous prétendons être à nous-mêmes
notre propre source. De trop, outrageusement de trop, le Père
avec son Fils et le saint Esprit!
Mécanismes
de refoulement et de défense. Contre le vertical
enracinement créateur d’humanité, antagonisme
radical de la schizoïdie, l’acharnement s’est fait
extrême. Là, de l’extrême intériorité
des profondeurs humaines, Dieu devait être chassé avec
beaucoup plus de violence que de toutes les extériorités.
Mais de là, justement, Dieu ne se laisse pas chasser. C’est
ontologiquement impossible. Vous ne pourrez jamais l’expulser.
De même qu’un arbre ne peut se séparer de ses
racines. De même qu’une rivière ne peut nier sa
source. C’est impossible. Vous pouvez seulement le refouler. Et
l’entreprise de refoulement s’est mise à
fonctionner, à travers notre histoire, avec l’implacable
logique et la farouche énergie des désespérés.
La gloire de l’homme était en cause, et sa puissance, et
sa gloire. Aux massives mécaniques de refoulement et aux
lourds mécanismes de défense, on s’est efforcé
de prêter la solidité scientifique. Une méta-histoire
des ‘sciences’ dites humaines, depuis leurs plus
lointaines origines, révélerait sans doute la finalité
occulte de leurs lucididés et l’ampleur de l’acharnement
thérapeutique pour ‘sauver’ l'homme de lui-même,
c’est-à-dire pour le ‘sauver’ de sa
filiation divine.
Singer Dieu.
Là où l'Alliance
appelle à l'imitation – soyez parfaits comme votre
Père du Ciel est parfait –
l'anti-alliance se crispe sur un
néant gonflé d’orgueil. Coupé du Souffle
divin il ne reste plus à l'homme que de singer Dieu. Cette
condition inauthentique, dès lors, s'entretient par mimésis.
Une mimésis conflictuelle, car l'impossible coadéquation
de l'homme schizoïde avec le Dieu de l'Alliance ne peut que
nourrir le ressentiment. On ne refuse pas l'alliance sans refoulement
et sans violence. Et lorsque le regard de l'homme sur Dieu est
perverti, le regard de l'homme sur l'homme ne peut pas ne pas l'être
à son tour. La violence mimétique joue en escalade.
Elle conspire. L'homme est si profondément fils de l'Alliance
qu'il ne la rompt pas sans nouer des pactes fondés sur la
vanité mimétique. On se dit l'un à l'autre...
L'audace vient de ces démissions partagées. Et
l'insignifiance se donne ainsi fausse contenance.
Refoulement.
L'entreprise de refoulement s'est
mise à fonctionner, à travers notre histoire, avec
l'implacable logique et la farouche énergie des désespérés.
La gloire de l'homme était en cause, et sa puissance, et sa
gloire. Aux massives mécaniques de refoulement et aux lourds
mécanismes de défense, on s'est efforcé de
prêter la solidité scientifique. Une méta-histoire
des ‘sciences’ dites humaines, depuis leurs plus
lointaines origines, révélerait sans doute la finalité
occulte de leurs lucididés et l'ampleur de l'acharne.
Quel
Dieu est ainsi refoulé ? Non pas la ‘divinité’
abstraite, fruit de la raison que la raison peut mettre entre
parenthèses ou exclure. Mais ‘Je Suis’ rencontré
concrètement et existentiellement à travers une
expérience historique. L'homme moderne a beau protester. Il ne
peut pas faire comme si cette rencontre n'avait pas lieu. Si
l'expérience personnelle lui est refusée, du moins
participe-t-il de la rencontre communautairement historique. Il
‘connaît’... au sens biblique! Même s'il fait
semblant de ne pas connaître. Il ‘connaît’
parce que toute sa culture ne peut pas ne pas connaître. On ne
lutte pas toute une nuit – comme Jacob – avec l'Autre
sans se retrouver déhanché le matin. A partir de
l'expérience judéo-chrétienne l'athéisme
prend une dimension et une signification radicalement différentes
de ce qu'il peut être en
d'autres espaces. Parce que Dieu s'est révélé
comme le Toute-Autre ‘Je Suis’. Parce que l'homme est
créé et continue à se créer dans et à
partir de cette révélation.
Infinie
liberté. Ouverture d'une infinie liberté
créatrice de l'homme créé à l'image de
‘Je Suis’ et éduqué – conduit hors de
– en Alliance avec lui. C'est une telle liberté, ouverte
radicalement par la rencontre de l'infini de ‘Je Suis’,
qui va historiquement se reprendre en elle-même et sur
elle-même en autonomie anthropocentrique. L'homme divinisé
par grâce de ‘Je Suis’ clôt sa divinisation
sur elle-même et veut devenir Dieu sans Dieu! Dès lors
il reste à Dieu de mourir pour que l'homme puisse être
absolument pour lui-même son Dieu.
Mais
‘Je Suis’ résiste infiniment à la
mortalité. C'est vainement que l'homme s'ingénie
à faire mourir celui qui est Résurrection et Vie.
L'homme peut simplement le refouler! Pendant ce temps Dieu, selon
l'expression biblique, ‘s'en amuse’!
Dieu
peut-il être chassé des profondeurs humaines ?
De là, justement, Dieu
ne se laisse pas chasser. C'est ontologiquement impossible. Vous ne
pourrez jamais l'expulser. De même qu'un arbre ne peut se
séparer de ses racines. De même qu'une rivière ne
peut nier sa source. C'est impossible. Vous pouvez seulement le
refouler.
Quel
refoulement.? La
lucidité moderne voudrait vivre ‘seulement avec ce que
l’on sait’. Mais sait-on jamais autre chose que ce que
l’on veut savoir ? En fait cette modernité en sait
plus qu’elle ne sait. Elle sait sur fond de savoir refoulé.
Car elle a connu au sens biblique où l’homme ‘connaît’
la femme en la fécondant. La culture moderne a beau protester,
elle ne peut pas faire comme si la rencontre n’avait pas eu
lieu. Une si passionnée étreinte avec l’Autre au
cours d’une si longue histoire d’amour...
Le
fils prodigue de la modernité. C’est une
chose étonnante que de découvrir même au creux de
notre désarroi un souffle qui atteste avec force le mystère
de l’Autre en nous-mêmes. Il suffit de pousser le vide
assez profond. Mais nos encombrements ne sont-ils pas trop massifs ?
Et nos alibis trop bétonnés ? En un monde où
les détracteurs du sens prolifèrent, forts de leurs
lucidités démystificatrices et sûrs de leurs
incertitudes. En un monde où les significations, ayant perdu
les références, tournent en rond, piégées
en leur nominaliste tautologie. En un monde où les
référentiels eux-mêmes se mettent à
flotter au gré des conventions voire des modes... Mille et une
raisons du soupçon militent aujourd’hui en faveur des
avortements sémantiques. Quelque chose comme une grande
conspiration anonyme se ligue contre le sens. Et largement s’étale
un consensus de démission.
Dans
le vent. Il est
vrai que la déroute spirituelle s’arrange à
caresser nos démissions dans le sens du poil. Ces épidermiques
connivences avec l’actualité garantissent les euphories
de nos démangeaisons. Etre dans le vent devient l’impératif
catégorique de nos déracinements. Si la faillite du
sens est d’actualité, il faut devenir inactuel en
refusant le non-sens. Une telle dissidence urge plus que jamais. Et
plus que jamais elle exige audace. Tant est massive la contrainte
mimétique de la liquidation.
Illusions.
La modernité, encore trop éblouie par
ses propres prouesses, n’a pas encore pris la mesure exacte de
ses illusions. Peut-être l’enfant prodigue n’a-t-il
pas encore touché le fond de l’angoisse de sa solitaire
condition ? Mais déjà les réponses trop
facilement optimistes et les dérobades d’une fuite en
avant se sentent moins sûres d’elles-mêmes et même
un peu ridicules devant la montée d’une remise en
question radicale. Déjà un soupçon. L’homme
’moderne’ ne serait-il pas malade ? Malade d’un
mal beaucoup plus pernicieux que les diagnostiques courants, plus ou
moins sécurisants, ne tendent à l’admettre ?
Fatal
enchaînement d’un refoulement, d’une schizophrénie
et d’un enfermement. Le
grand enfermement de l’homme sur l’homme. Fatale
alternative à la métanoïa ! L’autistique
raison close sur elle-même jusqu’à la déraison !
Comment dans la rupture du lien théo-onto-logique nouer la
schizoïdie ? Toute la modernité se bat jusqu’au
désespoir et jusqu’à l’absurde avec cette
question radicale.
Tâche de
Sisyphe sans cesse reprise et sans cesse échouée.
Désormais l’homme est
responsable de l’homme. Radicalement. Sans recours et sans
garant autre que l’homme. Mais si l’homme est responsable
sans recours, qui nous pardonnera ? Comment l’homme
pourra-t-il se justifier ? Il reste le refuge dans la sublime
illusion de l’homme impeccable ou le réflexe infantile
de rejeter la faute hors de soi. Nous avons cru garder la divine
démesure en refusant sa source, l’Alliance, qui lui
donne sens. A l’homme devenu ’suprême’
revient la tâche d’inventer l’homme. La tâche
de Sisyphe d’inventer inlassablement l’homme ! C’est
à lui que revient alors la charge d’être créateur
et fondateur radical de vérité, d’être, de
valeur, de droits, de devoirs et de sens. De sens surtout ! Mais
où commencer et où s’arrêter entre la belle
’idée’ de l’Homme et le "réel"
de l’humain trop humain ? Comment l’homme va-t-il se
donner une généalogie ? Comment va-t-il se refaire
une virginité ? Comment l’homme va-t-il se
construire sa ’bulle’ de survie ? Où va-t-il
puiser le sens ? Il faut jouer ou se battre. Jouer en fermant
les yeux sur les règles conventionnelles du jeu. Ou se battre
pour se mettre d’accord sur les conventions. Mais au nom de
quelle convention se mettre d’accord sur les conventions ?
Idoles. Il reste à
l’animal sacralisateur qu’est l’homme la panthéiste
sacralisation des ’valeurs’ schizologiques avec leur
cortège de Majuscules ! Et le culte des idoles. Et la
floraison des ’ismes’. Et les ’Maîtres
Penseurs’. Le soupçon à l’infini. Le
soupçon du soupçon ne mérite-t-il pas son
autel ? Mécanismes de défense toujours. Avec le
mensonge. Et le retour du refoulé sous mille avatars. Le grand
enfermement dans les ’systèmes’ totalitaires.
Ultimes refuges du salut. Ile d’Utopia... Ou Archipel du
Goulag ? "Horizon indépassable" ? Mais la
forêt n’est-elle pas l’horizon indépassable
du chimpanzé ?
Fuite en
avant. Seule ’transcendance’ à cette
immanence du possible schizophrène, la fuite en avant du
progressisme scientiste ou les paradis artificiels de l’idée
ou de la drogue ! Mais que signifie une révolution qui
renvoie le même homme dans les mêmes clôtures ?
Que signifie un ’Progrès’ qui ne tourne qu’en
bouclant sur elles-mêmes productions et consommations ? La
cohérence la plus logique de la condition schizophrène
ne serait-elle pas la démesure nihiliste ? Drame d’une
démesure infiniment libérée prise au piège
d’une clôture qui ne peut être jamais à sa
mesure !
Résistance. Imagine
un instant qu’atteintes par la contagion s’éteignent
les voix rebelles de l’Esprit et se taise le petit reste des
protestataires du sens. Combien de temps, penses-tu, le monde
survivrait-il ? On croit l’énergie spirituelle
résistante à toute épreuve. Elle est fragile
comme le souffle. Son entropie est plus implacable qu’en toute
autre énergie. L’énergie spirituelle se dégrade
par démission en chaîne, par d’imperceptibles
fragments de démissions accumulées, par d’innocentes
minuscules démissions juxtaposées. Les mécanismes
démissionnaires ont besoin, pour fonctionner, de la force que
procure l’illusion. Chacun se croit seul résistant. Tous
se sentent noyés dans le "on" qui démissionne.
Donc aucun n’ose protester. Et, cercle vicieux, ce silence
collectif conforte les solitudes découragées. Il faut à
ce monde spirituellement anémique des prophètes, des
hommes de l’Esprit, qui témoignent de l’ouvert
infini du sens et, partant, de l’espérance.
Infini
dépassement. Mais
peut-être commençons-nous à pressentir,
aujourd’hui, comme une fracture de l’histoire où
l’homme est appelé à expérimenter, fut-ce
par l’absurde, que l’homme passe infiniment l’homme.
Sans doute l’impasse n’est-elle pas fatale. Pourquoi
cette même judéo-chrétienne dynamique qui ouvre
les démesures n’ouvrirait-elle pas encore, comme
toujours, l’infini espace de l’AUTRE ?