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Sacral
La différence sacrale.
Qui
d’autre que Dieu pouvait provoquer l’exode
de l’homme vers l’humain ?
L’homme n’est possible
qu’à partir d’un animal en crise. Tant que la vie
coïncide avec elle-même, elle n’est qu’animale.
C’est dans la distance de
la vie avec elle-même que gît la chance de l’émergence
de l’humain. C’est dans la béance
qu’elle est pro-voquée
au dépassement. Longue histoire d’un certain vivant
défié à
travers une longue suite de crises différentielles. Cela
n’allait pas sans un grand pro-vocateur. Seul le
fascinosum et le tremendum sacral pouvaient disloquer l’animal
et ouvrir en ce primate la béance de l’infini. Le même
était incapable de le défier.
Il lui fallait l’autre. Il fallait la grande différence
sacrale pour provoquer l’homme à sacrifier
son animalité. C’est
donc dans la crise sacrale de la vie que naît l’homme en
tant qu’homme. Le sacré est proprement crise
d’enfantement de l’humain.
Personne ne sait quand cela a commencé. Personne ne le saura
jamais. Mais l’accession d’un certain primate à
l’humanité reste incompréhensible autrement.
La
pro-vocation sacrale. Nous ne savons pas quand cela a
commencé. Personne ne le saura jamais. Mais l’accession
d’un certain primate à l’humanité reste
incompréhensible autrement. Il fallait le fascinosum et le
tremendum sacral pour disloquer l’animalité et pour
ouvrir en ce primate la béance de l’infini. Le fini
n’était pas suffisant pour le défier ! Le
même non plus. Il lui fallait l’autre. La grande
négativité dialectique. L’autre infiniment autre.
Par la suite, l’histoire de l’homme est inséparable
de l’histoire de ses dieux. L’homme est toujours à
l’image de son Dieu. Plus il se divinise, plus l’homme
s’humanise. Réactualisation de la victoire
originaire où la vie passe par la mort pour revivre plus
immortelle. L’homme émerge avec le savoir inconscient de
cette victoire originaire. Son culte, si 'primitif' soit-il,
participe de l’originelle bio-gonie et
en actualise l’efficace. Le sacrifice, dans toutes ses formes,
témoigne de cet inconscient savoir que la vie ne peut être
pleinement vie qu’à travers sa "négation"
sacrificielle.
La grande différence
pro-vocatrice. Le sacré est crise du monde pour
qu’émerge l’humain. L’humain s’enfante
à travers cette crise. C’est le sacré qui
signifie cette crise. L’homme naît en tant qu’homme
dans la crise sacrale de la vie. Tant que la vie coïncide
simplement avec elle-même elle n’est qu’animale.
C’est la non-coïncidence de la vie avec elle-même,
de l’instinct avec lui-même, du vouloir-vivre avec
lui-même qui est chance de l’émergence du
spécifique humain.
Le divin ouvre
la différence à travers laquelle l’humain
advient. Différence
et différence de la différence. Mais déjà
le ‘divin’ lui-même s’ouvre à la
différence pour accéder progressivement,
dialectiquement, à la plénitude. Des esprits
élémentaires aux divinités minérales,
végétales et animales... Des divinités agraires
au dieu cosmique... Des idoles au Dieu invisible... Des dieux
familiaux, tribaux, nationaux au Dieu universel... Du dieu démiurge
au Dieu Créateur... De la Divinité au
Dieu-Personne...
La culture commence
avec l’originaire culte. Si
archaïque soit-il, le rite cultuel est archéologique
praxis d’humanisation. Continuation, réactualisation
efficiente dans le hic et nunc terrestre du drame bio-cosmique sacral
qui garantit l’ultime consistance ontologique. C’est le
culte qui célèbre et rythme la différence entre
la nature et la culture. Entre la nécessité et la
liberté, entre l’ordre des choses et la création.
Le culte actualise rituellement le drame bio-cosmique et la victoire
de la vie sur la mort. Très profondément, l’homme
n’est-il pas cet animal capable d’offrir en sacrifice son
animalité pour s’enfanter humain ?
La
différence sacrale. Le monde est moins que le
monde. Le monde est plus que le monde. L’homme est moins que
l’homme. L’homme est plus que l’homme. Le sacré
commence avec l’expérience première de cette
étrange différence effrayante
et fascinante en même temps. Une DIFFERENCE pro-vocatrice qui
ne laisse indifférent que l'animal. Le 'divin' ouvre la
différence à travers laquelle l’humanité
advient. Différence et différence de la différence.
Mais déjà le ‘divin’ lui-même s’ouvre
à la différence pour accéder progressivement,
dialectiquement, à la plénitude. Des esprits
élémentaires aux divinités minérales,
végétales et animales... Des divinités agraires
au dieu cosmique... Des idoles au Dieu invisible... Des dieux
familiaux, tribaux, nationaux au Dieu universel... Du dieu démiurge
au Dieu Créateur... De la Divinité au
Dieu-Personne...
Exode de l’homme
vers l’humain. Accession
de l’homme à la conscience de plus pleine humanité,
à la conscience morale, à la liberté créatrice
et historique, à la personne. Exode. Théorie.
Procession vers le divin. La différence sacrale creuse
l’infinie béance qui fissure les milieux pour les livrer
aux extrêmes de l'Autre. Le sacré
est crise du monde pour qu’émerge
l’humain.
Axe
sacral. Cette béance du monde, cette gratuité
béante au cœur de la nécessité, désigne
à sa manière l’universelle sacralité.
L’axe sacral est
l’axe différentiel fondamental de la distance et de la
différence qu’est l’homme. Il est l'axe
différentiel vertical sur lequel
s’articule la possibilité dialectique.
Le
sacré est crise du monde pour qu’émerge l’humain.
Il est l’infinie béance qui fissure les milieux
pour les livrer aux extrêmes. Il est la grande négativité
au cœur des faciles positivités. Il est l’originaire
différence qui provoque le dialectique déploiement du
monde nouveau d’humanité. Avant même que ne
s’établisse la distinction entre le profane et le sacré,
avant donc que l’homme n’en puisse parler, déjà
agit ce fondamental et fondateur acte de la différence. Et
même dans les espaces les plus désacralisés, il
est encore omniprésent. Qu’un morceau d’étoffe,
par exemple, puisse devenir plus que chiffon pour être
drapeau !
Le sacré est
source active du symbole. Il informe en ses profondeurs les
puissances symbolisantes à la racine de tout symbole
symbolisé. Là où toute moitié témoigne
de l’autre moitié qui toujours se dérobe dans
l’infinie différence pour s’y reconnaître
quand même. Fascinosum de l’originaire identité
d’avant la brisure. Tremendum de la différence béante
infiniment. L’axe sacral est l’axe différentiel
fondamental de la distance et de la différence qu’est
l’homme. Il est l’axe différentiel vertical sur
lequel s’articule la possibilité dialectique.
Crise
sacrale. L’acte
religieux est essentiellement dialectique et fondamentalement –
bien avant sa constitution en ‘religion’ –
contemporain indissociable de l’acte dialectique d’hominisation
et d’humanisation. L’acte fondamental religieux est
instaurateur de différence. Tout commence avec Eros, ce
dynamisme tendanciel qui s’identifie à la vie en son
multiple foisonnement et en sa prolixe différence
structurelle. Chez l’animal, Eros reste à la mesure de
son ‘Umwelt’ qui, lui-même, est à la mesure
d’éros. En l’animal, la boucle biologique se
boucle sur elle-même. Tant que la vie coïncide
parfaitement avec elle-même elle reste simplement animale. Un
certain animal peut devenir homme parce que la boucle purement
biologique ne se boucle plus sur elle-même. Cela implique une
crise d’éros. le surgissement d’une disproportion
entre la démesure d’Eros et son Umwelt. Le ‘il y
a’ du simplement ‘donné’ ne suffit plus pour
loger Eros en sa béance. Un ‘ailleurs’ s’ouvre.
Jamais ‘autre’ chose que la stricte animalité
n’aurait pu être si éros n’avait été
provoqué dialectiquement par quelque chose comme une négation
de la simple animalité.
Dans
cette ouverture se constitue le spécifique humain. La
‘culture’ par opposition à la ‘nature’.
Ouverture d’un espace nouveau d’articulation et de
signification dans leur réciprocité. Longue et
progressive histoire d’un certain vivant à travers une
suite indéfinie de crises différentielles. Différence
qui pro-voque l’effort de ce vivant à combler sans cesse
cette béance, donc à dépasser son stade
précédent.
L’homme
n’est possible qu’à partir d’un animal en
crise. En crise face à l’altérité
pro-vocante qui le défie au dépassement. Longue et
progressive histoire d’un certain vivant à travers une
suite indéfinie de crises différentielles. Il faut à
ce processus un grand pro-vocateur. Le sacré est proprement
crise d’enfantement
de l’humain. C’est à travers la crise sacrale que
naît l’homme en tant qu’homme. Personne ne sait à
quel moment précis de l'évolution cela a commencé.
Personne ne le saura sans doute jamais. Mais l’accession d’un
certain primate à l’humanité reste
incompréhensible autrement.
La
grande différence originelle qui
coupe en deux le monde. L’homme
n’est possible qu’à travers cette coupure. Sans
elle, l’indifférence lui ferait côtoyer
dangereusement le précipice du néant et de la mort.
Cette originaire division sacrale de l’être traverse le
monde verticalement, marque sa radicale axiologie et le sauve du
néant. Il s’agit là de bien plus que de simples
‘qualités’. Ce sont des forces. Et ces
forces sacrales peuvent être activement antagonistes,
s’affronter et lutter. Le pur doit
être victorieux. La force sacrale détermine et régit
les niveaux ontologiques. Mais cette force est toujours conquête.
Sur fond de menace permanente.
Pour
quoi, pour qui, l'homme est-il prêt à
mourir ? Les désignations peuvent être variables.
Mais au fond se tient toujours une réalité posée
au-dessus de tout le reste et qui nous dépasse d'une certaine
façon. Et cette réalité est d'ordre sacral.
Dieu, et tout ce qui se pare de `divin'. La religion, et tout ce qui
prend une valeur `religieuse'. Le sacré, et tout ce qui au
monde se défend comme `sacré'. René Girard
montre de quelle violence le sacré est capable.
Dans
l’espace judéo-chrétien l’homme
occupe une place unique parmi tous les êtres de l’univers.
Cette place lui est refusée aujourd’hui. Celui qui
jusque là était aussi citoyen d’ailleurs va
perdre son statut d’exterritorialité. Cet animal de
l’embranchement des vertébrés et de la classe des
mammifères, apparu évolutivement dans l’histoire
naturelle de la vie, n’est plus marqué de l’intouchable
mystère sacral. Il ne se comprend plus que ramené dans
les strictes limites naturalistes d’un scénario de la
continuité. Fils seulement du hasard et de la nécessité.
Le
divin ouvre la différence à travers laquelle l’humanité
advient. Différence et différence de la
différence. Mais déjà le "divin"
lui-même s’ouvre à la différence pour
accéder progressivement, dialectiquement, à la
plénitude. Des esprits élémentaires aux
divinités minérales, végétales et
animales... Des divinités agraires au dieu cosmique... Des
idoles au Dieu invisible... Des dieux familiaux, tribaux, nationaux
au Dieu universel... Du dieu démiurge au Dieu Créateur...
De la Divinité au Dieu-Personne...
Exode
de l’homme vers l’humain. Accession
de l’homme à la conscience de plus pleine humanité,
à la conscience morale, à la liberté créatrice
et historique, à la personne. Exode. Théorie.
Procession vers le divin. Il fallait le fascinosum et le tremendum
sacral pour disloquer l’animal et pour ouvrir en ce primate la
béance de l’infini. Le fini n’était pas
suffisant pour le défier ! Le même non plus. Il lui
fallait l’autre. La grande négativité
dialectique. L’autre infiniment autre. La grande différence
pro-vocatrice. Par la suite, l’histoire de l’homme est
inséparable de l’histoire de ses dieux. De son Dieu.
L’homme est toujours à l’image de son Dieu. Plus
il se divinise, plus l’homme s’humanise.
Aliénation
? Pour Feuerbach et pour Marx, la religion ne peut être
qu’une aliénation parce qu’elle instaure une
dualité entre le ciel et la terre. Une telle dualité
n’est cependant ‘aliénante’ que dans la
perspective mécaniste de l’objet brisé. Dans une
perspective authentiquement dialectique, la division est chance.
L’acte fondamental religieux est instaurateur de différence.
Créateur de dualité. Crise. Mais l’irruption
de l’autre nouveau est à ce prix.
Le
sacré archéologique. D’abord
est donc la vie cosmique qui, en son universelle hiérogamie,
engendre tous les vivants. Drame sacré originel que le mythe
célèbre en permanence à
travers le temps et dont le rite traduit
et actualise l’infinie efficacité. Fascinosum
d’une force vitale
inépuisablement active et efficace, inlassablement victorieuse
de la dégradation et de la mort. Tremendum
d’un risque possible
d’épuisement et de dégradation à partir
d’une démesure possible de l’homme.
Garant
de la densité de l'être. Archéologiquement
le 'sacré' est vécu comme le garant de la densité
de l'être toujours menacé
de dépertition et de 'liquidation' dans le
'profane'. L'effort de l'homme sera donc de ramener inlassablement
l'être en son centre sacral où il doit se
'recharger' de sa force. Pour cela se créent diverses
techniques cultuelles.
La culture
commence avec l’originaire culte.
C’est le culte qui célèbre
et rythme la différence entre la nature et la culture. Si
archaïque soit-il, le rite cultuel est archéologique
praxis d’humanisation. Continuation, réactualisation
efficiente dans le hic et nunc terrestre du drame bio-cosmique sacral
qui garantit l’ultime consistance ontologique. C’est le
culte qui célèbre et rythme la différence entre
la nature et la culture. Entre la nécessité et la
liberté, entre l’ordre des choses et la création.
Le culte actualise rituellement le drame bio-cosmique et la victoire
de la vie sur la mort. La première praxis humaine dans sa
mytho-magie est déjà praxis sacrale. le spécifique
humain se conquiert dialectiquement à travers cette praxis.
Sans l’originaire ‘magie’, il n’y aurait
jamais eu ‘science’ ! A sa manière le rite
introduit la division, le clivage, dans la nature. La culture
commence avec l’originaire culte. Le rite cultuel est
archéologiquement culture d’humanisation. L’outil
est d’abord rituel. Et le ‘sacrifice’ détruit
avant de rassembler.
Gratuité.
Ce mystérieux plus est
à partir d’un moins. Il vient dans la béance de
l’utile, inutile. Il vient dans la négation. Il vient
dans la différence. Il vient de surcroît. Il est
gratuit, c’est-à-dire que sa valeur est ailleurs.
L’humain ne se manifeste jamais sans cette dimension de
gratuité par laquelle un autre plus émerge, dans la
rupture, au creux d’une béance. Là où la
logique ne boucle plus sa clôture mais laisse jubiler le logos.
Dire autrement l’indicible. Poïésis. Grâce.
Cette béance du monde, cette gratuité béante au
cœur de la nécessité, désigne à sa
manière l’universelle sacralité. L’outil
préhistorique de l’Acheuléen qu’on appelle
‘amande’ est d’emblée un caillou différent
des autres galets de la nature. Il est ‘signe’ de
culture, signe d’humanité. Il a été
incontestablement fabriqué en vue d’une utilité
technique. Sa forme d’outil s’impose en quelque sorte de
façon logique; elle s’explique, se justifie et se
comprend en fonction de son utilité même. Cette forme
pourrait n’être que cela. En fait elle est beaucoup plus.
Cette forme en ‘goutte d’eau’ est harmonieuse. Elle
est belle. Ce plus est là comme ça, pour rien,
pour le plaisir, gratuitement.
Sacrifice.
C’est dans le rite sacrificiel –
sacrum facere – que la crise
sacrale s’actue de façon extrême. Dès ses
formes les plus archaïques se rejoue la crise sans laquelle
l’humain ne serait pas. Ici se révèle la profonde
dialectique sacrale. La traversée de la négation vers
l’autre. Du bon est détruit pour qu’un meilleur
soit. De la valeur est immolée pour que dans sa béance
se manifeste une autre et plus grande valeur. On sacrifie de la vie
pour vaincre la mort. Dans l’extrême rupture advient une
plus extrême plénitude. Dans la tension paroxysmale de
la lutte et de l’étreinte hiérogamique sous le
signe d’éros et de thanatos. Le sacrifice actualise
cette mystérieuse dialectique à travers laquelle la
libre mise à mort d’un vivant devient victorieuse de
cette mort elle-même. Réactualisation de la victoire
originaire où la vie passe par la mort pour revivre plus
immortelle. L’homme émerge avec le savoir inconscient de
cette victoire originaire. Son culte, si ‘primitif’
soit-il, participe de l’originelle bio-gonie et en actualise
l’efficace. Le sacrifice, dans toutes ses formes, témoigne
de cet inconscient savoir que la vie ne peut être pleinement
vie qu’à travers une ‘négation’
sacrificielle. On retrouve toujours la même dynamique si
profondément humanisante du non. Distance.
Différence. Non... Pas encore... Pas tout de
suite... Plus loin... Plus haut... Un espace négatif
s’ouvre. Le sacré est
instaurateur d’un tel espace dialectiquement antithétique.
Un espace où les vides sont plus pertinents que les pleins. Un
espace de l’appel et de la pro-vocation.
L’homme,
un animal capable d’offrir en sacrifice son animalité.
Pour s’enfanter humain ?
Depuis les origines, c’est le culte
qui célèbre et rythme la différence
entre nature et
culture. Entre
la nécessité et la liberté. Entre l’ordre
des choses et la création. Le culte actualise rituellement le
drame bio-cosmique et la victoire de la vie sur la mort. Les rites
structurent l’espace, le temps,
l’être et l’action cohérente des hommes.
Ainsi les rites de passage qui président au devenir personnel
et aux fonctions sociales. Ainsi les rites de la végétation
qui donnent naissance à l’agriculture. Ainsi les rites
totémiques qui président à la domestication des
animaux. Ainsi les rites du feu sans lesquels la métallurgie
n’aurait jamais commencé.
Les
différences fondatrices. L'humain est fils de la
différence. Le 'sacré' ouvre le nouvel espace de
l'humain en instaurant les grandes différences fondatrices.
Entre sacré et profane. Entre absolu et contingent. Entre haut
et bas. Entre valeur et non-valeur. Entre bien et mal. Entre pur et
impur. Entre permis et défendu...
Le
pur et l'impur. Une des grandes coupures
contemporaines de l’émergence de la différence
humaine est celle qui s’opère entre le pur et l’impur.
Cette originaire division sacrale de l’être traverse le
monde verticalement et marque sa radicale axiologie. Il s’agit
là de bien plus que de simples ‘qualités’.
Ce sont des forces. Et ces forces sacrales peuvent être
activement antagonistes, s’affronter et lutter. Le pur doit
être victorieux. La force sacrale détermine et régit
les niveaux ontologiques. Mais cette force est toujours conquête.
Sur fond de menace permanente. Il y a un sens qui va de soi tout
naturellement, c’est la descente. Déperdition, perte, de
la force sacrale. Entropie sacrale identiquement entropie
ontologique ! Etonnante perception de la fondamentale entropie
du monde ! La remontée ne se fait que grâce à
la dynamique sacrale. L’impur prolifère. Il se diffuse
avec une facilité incroyable. Il se répand de lui-même,
avec facilité, comme une pollution. Le pur se conquiert
laborieusement, douloureusement. Si mythique que soit au départ
une telle différenciation entre le pur et l’impur, elle
ne porte pas moins en elle l’originaire tension entre ce qui
simplement est et son autre par quoi l’humain, négateur
de la simple nature, se conquiert l’autre nouvelle nature.
Cette tension sémantique est fondamentalement aussi tension
éthique instauratrice de différence sans laquelle le
spécifique humain n’est pas. Ouverture du chemin de la
différence et de la différence de la différence
à l’infini. Quelle différence entre l’originaire
différence entre pur et impur et, à partir d’elle,
cette autre différence qui advient, dans la différence,
entre faute et péché ! De la honte au remords et
au repentir ! Quelle tension différentielle gestatrice de
ce que sera l’authentique personne. Dans la différence
d’avec la simple individualité encore noyée dans
le groupe bio-social. L’humain n’est possible qu’à
travers une crise. C’est le sacré qui signifie cette
crise. Irruption de l’autre vertical qui met en croix
l’horizontalité du même pour que se célèbre
la Pâque de l’ouverture de l’humain.
Le
tabou. Contemporain de l’émergence de l’homme
il y a donc le tabou. Il marque et protège la grande
différence sans
laquelle l’humain ne serait pas. Le tabou interdit. En même
temps il affirme. Il est non au
cœur du oui. Il révèle la profonde et
fondamentale interdiction d’un oui
sans non !
L’interdiction d’une proximité sans distance.
L’interdiction d’une rencontre sans différence.
L’interdiction d’une intensité sans béance.
Le lieu du tabou est toujours en un nœud d’intensité
sacrale. Là où se rencontrent dangereusement le ciel et
la terre. Là où s’actue le drame hiérogamique
avec plus d’intensité. Essentiellement en ce nœud
de l’originaire sexualité bio-cosmique, mystère
sacral par excellence. La vie à
sa source bio-sacrale: le divin, le céleste, le totem, les
ancêtres, la femme, le prêtre, le roi, le chef, le
sorcier... La vie dans ses extrêmes: les morts, les esprits...
La vie menacée: les solstices, les éclipses, les
maladies, le héros, le chasseur, le fondeur... La vie en
régénération: le cycle menstruel, le guérisseur,
l’initiation, la circoncision... Les moments intenses de la
vie: la fête, la naissance, la mort, les semailles, la
récolte... Les lieux de concentration vitale: l’omphalos,
le sexe, les grottes, les pierres sacrées, l’arbre
sacré, le temple...
L'espace
du 'sacré' est coextensif à la totalité de
l'espace humain. La mentalité schizoïde ambiante,
soucieuse d'expulser le 'sacré', voudrait reléguer
celui-ci dans une sacristie. Avec une bonne étiquette le
cantonant en sa troublante exception et croyant libérer
ainsi une normalité profane. N'en déplaise à
Auguste Comte, l'état `positiviste' n'est pas moins
`théologique' que les états précédents.
Il est même plus théologique que jamais. Mais autrement.
L'état `théologique' marquait encore les différences.
L'état `positif' les supprime, puisque c'est l'homme,
désormais, qui se fait Dieu à la place de Dieu. Il
n'est plus de science `humaine' qui ne soit en même temps
science `divine'. Cette subtile réciprocité se voit
sans cesse occultée. Elle joue sur fond de rivalité
conflictuelle qui ne se dit pas. L'obscure dramatique de quelque
chose comme une théomachie. L'anthropos n'a pas fini de
régler ses comptes avec le theos.
L’humain n’est qu’à
travers la différence sacrale. Dès lors l’homme
ne peut pas ne pas ‘sacraliser’. Le sacral étant
si intimement inhérent à l’humain, où
va-t-il se loger lorsqu’une ‘culture’ particulière,
une ‘époque’, se veut démystificatrice ?
A moins d’être repris par l’autre
interpellant de la Foi, le sacré
se trouve investi ou réinvesti dans ses mille et un avatars:
Raison, Nature, Vie, Histoire, Parti, Science, Evolution,
Révolution... Tant il est vrai qu’un dieu ne se chasse
qu’au nom d’un autre ! C’est plus fort que
l’homme. Que reste-t-il à l’art, à la
philosophie, à la science même - la science dans son
projet - sans leur dimension si profondément ‘religieuse’ ?
Faites l’analyse sémantique de n’importe quel
discours ‘athée’. Vous serez stupéfaits de
l’investissement sacral et religieux, là même où
il est si vivement refoulé.
Le
vivant vertical. Au cœur du drame sacral de la vie,
l’homme, le vivant centré dans la différence.
Microcosme en participation avec le macrocosme. L’originaire
sacralisateur sacralisé. L’axe des valeurs. Signifiant
qui se signifie. Béance ouverte à l’infini d’un
monde différent. L’homme démesure. Et mesure
pourtant. Première mesure de l’orbe cosmique et de la
proportion harmonieuse. Chiffre du monde.
L’homme,
animal debout ! Sa station signifie et réalise la
verticalité sacrale. L’homme est l’originaire
référentiel de l’espace sacral et de son centre
sacré. La physiologie est d’abord, avec plus de
pertinence, symbole. En l’homme la vie vibre de l’originaire
fascinosum et tremendum sacral. Dans la verticalité sacrale se
joue archéologiquement le drame des protagonistes antagonistes
éros et thanatos. La grande différence verticale entre
le ciel et la terre qui dans son étreinte engendre les
vivants. La grande différence verticale entre la terre et les
enfers sous-terrestres qui dans son étreinte engendre les
morts. Double engendrement qui s’articule sur les puissances
ouraniennes et chtoniennes des esprits célestes et des esprits
telluriques, des forces du bien et du mal, de la lumière et
des ténèbres...
Chiffre du
monde. L’homme,
chiffre et mesure du monde, est physiquement magique ! Léonard
de Vinci l’inscrit parfaitement dans la proportion du carré
et du cercle. Dès l’Antiquité égyptienne
et grecque le nombre d’or donne la clé de son harmonie.
Et le ‘modulor’ de Le Corbusier en définit sa
dynamique posturale. Rythme du monde aussi que traduit l’originaire
esthétique de la danse avant même que ne fussent
gravure, sculpture ou architecture. L’homme mesure de toutes
choses... Et démesure pourtant ! Chiffre du monde. Mais
hiéroglyphe. En l’homme le dicible ne se boucle pas. Il
reste toujours de l’indicible. Qui se balbutie à la
limite du symbole et du mythe.
Verticalité
sacrale. C’est dans l’extrême tension de la
Verticalité Sacrale que naît l’homme en tant
qu’homme. Le sacré est proprement crise
d’enfantement de l’humain.
Personne ne sait quand cela a commencé. Personne ne le saura
sans doute jamais. Mais l’accession d’un certain primate
à l’humanité reste incompréhensible
autrement. Seul le ‘divin’ ouvre la différence
à travers laquelle l’humanité
peut advenir. Qui d’autre que Dieu pouvait provoquer l’exode
de ce primate vers l’humain ?
L’espace
hiérotrope. L’espace-temps humain n’est
pas isotrope. Il est d’abord chargé de ‘force’
bio-sacrale. Celle-ci est concentrée au maximum en un centre
absolu. De là, elle irradie la
totalité de l’espace-temps en se dégradant à
mesure qu’elle s’éloigne du nœud d’extrême
intensité centrale et en se dispersant en nodules d’intensité
variable dont chacun, devenu centre régional, participe de la
charge sacrale du Centre absolu de l’univers. Entre la très
haute tension centrale et la dilution périphérique,
chaque nodule représente une certaine différence de
potentiel sacré. En chaque point l’horizontalité
naturelle se trouve en quelque sorte traversée par la
verticalité sacrale. Les continuités se discontinuent.
La racine tem dans
templum, par exemple, ne signifie-t-elle pas couper,
séparer ? L’univers vibre ainsi au rythme de la
discontinuité sacrale.
Il y a des temps forts. Il y a des hauts-lieux. Chaque nœud de
force bio-sacrale devient tabou. Les figures et les
symboles se chargent de prégnance sacrale. L’image
mythique du monde s’inscrit dans la perfection sphérique.
Avec la différence des hémisphères, visible et
invisible, ouranienne et chtonienne, céleste et infernale.
L’axe sacral ciel-terre, avec son haut
absolu et son bas
absolu, est primordial et régit
toutes les autres dimensions et toutes les orientations. Il traverse
cette sphère et en marque le central omphalos. Un univers
parfaitement centré et unifié.
Hiero-topologie.
Avant de se faire géographie, l’image de la terre
se construit selon une hiéro-topologie. Autour d’un
centre
hiérogamique. Déjà
la maison... un centre habitable où l’homme se loge en y
logeant les symboles de sa participation sacrale à l’univers
entier. Ensuite les autres espaces, du village, à travers
l’espace clanique, jusqu’aux Empires. A travers ses
migrations, du Levant au Couchant, du Nord au Sud, l’homme
emporte toujours son centre avec lui. Et visiblement ce centre le
suit partout ! Voici, par exemple, en 1442, un demi siècle
exactement avant l’aventure de Christophe Colomb, le
planisphère de Giovanni Leardo. Déploiement de l’orbe
terrestre autour du centre, l’omphalos sacral qu’est la
Jérusalem terrestre dans l’axe vertical invisible de la
Jérusalem céleste. A l’Est, on renvoie vers
l’invisible Paradis terrestre. A l’Ouest, vers les
invisibles Iles Fortunées. Au Nord, les vastes étendues
du ‘désert inhabité à cause du froid’.
Au Sud, celles du ‘désert inhabité à cause
de la chaleur et des serpents’. Etonnant planisphère qui
sait que la terre est sphérique et pourtant n’arrive pas
encore à boucler la boucle de l’orbe sur elle-même.
Les contours restent ouverts sur le mystère chargé de
frayeur et de rêve. Mais qu’importe, puisqu’il y a,
sécurisant, un centre ! A comparer le planisphère
de 1442 à celui de 1592 dessiné par Scotto, si proche
de nos représentations modernes du globe, la rupture
épistémologique se fait
visible et deviennent tangibles les révolutions qui en
marquent la distance: la circumnavigation de la terre, le
renversement copernicien et la révolution mécaniste.
Sans doute ne comprendra-t-on jamais rien au drame de Galilée
si l’on reste prisonnier d’un simple perspectivisme
scientiste. La nouvelle vérité était loin de
n’être que ‘scientifique’. Il s’agissait
fondamentalement d’une brisure de l’image sacrale du
monde et de l’éclatement de la grande unité
bio-cosmique. La dislocation du centre sacral ne pouvait pas ne pas
disloquer tout une cohérence.
En
l’homme, la vie vibre de l’originaire fascinosum et
tremendum sacral. Dans la verticalité sacrale se joue
archéologiquement le drame des protagonistes antagonistes éros
et thanatos. La grande différence verticale entre le ciel et
la terre qui dans son étreinte engendre les vivants. La grande
différence verticale entre la terre et les enfers
sous-terrestres qui dans son étreinte engendre les morts.
Double engendrement qui s’articule sur les puissances
ouraniennes et chtoniennes des esprits célestes et des esprits
telluriques, des
L'humain
surgit à la verticale. L’homme n’existe
authentiquement que dans l’abrupt de sa verticale béance...
Appelé par un abîme de plénitude. Il ne peut y
avoir d’humanité vraie sans cet appel. Même si
personne ne voulait l’écouter, même si personne ne
voulait l’entendre, il n’en serait pas moins la
fondamentale et constitutive pro-vocation de l’humain. L’homme,
simplement, inconsciemment ou consciemment, se constituerait en
négative inversion contre lui. Personne ne pourrait savoir
quel animal l’homme serait sans lui. Avec lui, et à
partir de lui seulement, est aussi donnée la possibilité
de ne l’écouter point.
Tropisme
vers le haut. D’où peut venir en cet animal
humain ce tropisme vers le haut ? Le logos le présuppose.
Sans arriver à le fonder parfaitement en raison. Il n’y
a que le mythos qui puisse donner à penser son archè.
Un fragment du divin perdu dans l’animal humain et qui, au cœur
de l’expérience sensible, garde la nostalgie du divin.
Une puissance d’aspiration de l’âme vers ce qui est
en-haut. A travers une chute, une réminiscence et une
ascension. Mythe universel dans sa structure. Toute une tradition
pré-platonicienne lui donne un contenu concret. L’Orphisme,
par exemple, avec son mythe central de Zagreus (Dionysos) fils de
Zeus, dévoré par les Titans que Zeus frappe du feu pour
former ensuite de leurs cendres les hommes. D’où
l’incoercible besoin de salut en cette double nature à
la fois divine et ‘titanique’ de l’homme.
Incoercible besoin de salut de la partie divine en l’homme,
l’âme, qui en se libérant du monde
sensible, remonte vers
sa patrie divine. D’où la sotériologie qui
imprègne la piété et célèbre les
mystères de l’orphisme en ses rites dionysiaques. Voie
de la purification et de l’extase qui tend à la fusion
avec le divin.
Il faut
à l'homme plus que l'homme pour devenir vraiment humain. Il
lui faut l'Autre. Il lui faut le Souffle de Dieu. Il lui faut la
grande Différence verticale. Là où s'étale
l'in-différence, il est urgent de redonner voix à cette
grande Différence.
Que.
Dans sa pureté, le 'sacré'
est de l'ordre du QUE. Pure forme de la 'différence
sacrale' en tant qu'elle affecte tout esprit humain. Cette
structure sacrale de l'esprit ne cesse de dériver vers
le CE QUE. Elle se cherche des matérialisations. Du
côté des fétichismes et des idolâtries.
Théologie
négative. La théologie niée ne fait pas
l'économie de la théologie. Au contraire. Les plus
extrêmes efforts de la modernité n'arrivent jamais à
occulter l'irréductible dramatique fondamentale de la
condition humaine. Seulement le drame sacral s'y joue en béance.
A travers quelque chose comme une `négative théologie
négative'. La béance, en effet, reste
incontournable. Il arrive au sacré de se cacher sous cette
autre forme de théologie qui s'appelle anthropologie.
Il arrive même à celle-ci d'être doublement
théologie. L'une, positive, à la gloire de l'homme qui
veut être dieu. L'autre, négative, qui ne cesse de
balbutier apophatiquement la transcendance en creux et le chiffre de
l'indicible mystère.
La foi. Le
'sacré', avant ses 'ce que', dans la pureté de son
'que', est en même temps le point d'appui
et l'espace d'accueil
de la 'foi'. Celle-ci cependant s'en
distingue comme le concret se distingue de l'abstrait et le plein du
vide. La FOI, en effet, se situe dans l'ordre de l'accomplissement.
Celui de la réalité personnelle
et inter-personnelle. Celui
du concret absolu. Celui
de la personne en tant que sacrée. Avec son
fascinosum et son tremendum. Rencontre de personne à personne.
Engagement réciproque. Alliance.
Anthropologie
négative. La raison la plus profonde de
l'unidimensionnalité des sciences humaines qui ne peuvent
révéler qu'une des faces du mystère humain c'est
que, de fait, elles se constituent comme négative théologie.
L'endroit d'un envers. L'envers
d'un endroit. Le refoulement massif témoigne
négativement du refoulé. Le même
crie négativement l'autre. Un vide
de Dieu se remplit étrangement de substituts inversés
du divin. Là où la totalisation schizoïde
expérimente l'ultime rétrécissement de la
finitude et où elle croit rencontrer l'absolu neutre côtoyant
l'absolu néant se situe un point décisif. Un point de
rupture. Mais d'intersection aussi. Et de symétrique
inversion. Ce sur quoi toute notre recherche sans cesse converge, la
béance, trouve là son lieu propre. Comme un
`trou noir' qui happe les trompeuses consistances. La béance
semble s'abîmer dans le néant. En fait elle ouvre aux
sources. Elle accule l'anthropo-logos aux
extrêmes. Non pas pour sa mort. Mais pour sa résurrection.
Une anthropologie négative ne
peut que situer dans l'humour radical les positivistes consistances.
C'est en leur cœur qu'elle surgit. Et c'est dans leur négation
qu'elle procède. Dialectiquement.